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Sous un soleil de plomb, une marée humaine, jeune et déterminée, avance sur la route chaotique de Delmas. Ce ne sont pas des cris de révolte incontrôlée qui résonnent, mais le martèlement sourd de milliers de pas, unis dans une douleur et une colère silencieuses. Leur destination : le Ministère de l’Éducation Nationale à Delmas 83. Leur raison : exiger justice pour Zamy Wanderson, un nom désormais symbole du drame qui frappe la jeunesse haïtienne. Leur combat : une lutte pour le droit le plus fondamental, celui de vivre et d’étudier en sécurité dans son propre pays.

 

Le drame absurde de Zamy Wanderson : l’innocence fauchée par la violence

Pour comprendre la profondeur de la colère, il faut revenir sur le drame qui a mis le feu aux poudres. Zamy Wanderson n’était pas un statisticien, un numéro de plus dans un bilan macabre. C’était un jeune écolier, fraîchement diplômé du prestigieux Collège Canado-Haïtien, dont les rêves et l’avenir venaient de s’ouvrir. Alors qu’il circulait à l’arrière d’une motocyclette, il s’est retrouvé, par un terrible concours de circonstances, à proximité d’une manifestation d’enseignants stagiaires.

Le cœur de la tragédie réside dans son absurdité cruelle. Selon les témoignages recueillis, des agents de sécurité du Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) auraient ouvert le feu pour disperser les enseignants qui réclamaient légitimement leurs lettres de nomination. Une balle perdue, tirée par ceux qui sont censés protéger, a trouvé son chemin jusqu’à Zamy. En un instant, l’espoir d’une famille, le potentiel d’une nation, ont été anéantis. Ce geste, d’une violence insensée, illustre la banalisation de la force meurtrière et l’effondrement total de la notion de protection civile.

Une marche pacifique, reflet d’une génération à bout de souffle

La marche qui s’est ensuivie est bien plus qu’une simple réaction à un fait divers tragique. Elle est l’expression culminante d’un ras-le-bol généralisé, d’une angoisse existentielle qui ronge la jeunesse haïtienne. Ces milliers de visages juvéniles, pour certains encore en uniforme scolaire, brandissent des pancartes où l’on peut lire : « Nou se Zamy » (« Nous sommes tous Zamy »), « Justice pour Zamy », « Assez de l’insécurité à l’école », « Stop à l’impunité ».

Le caractère pacifique de la manifestation est frappant. Il ne s’agit pas d’une émeute, mais d’un cortège organisé, silencieux par moments, porté par une dignité blessée. Cette maturité dans la protestation envoie un message plus puissant que toute violence : nous sommes les victimes, nous sommes la raison d’être de l’État, et vous nous avez trahis. Chaque pas vers le ministère est un rappel du chemin que Zamy ne pourra jamais parcourir. Chaque slogan est une accusation directe contre un système qui a failli à sa mission première : assurer la sécurité de ses citoyens, et surtout de ses enfants.

Au-delà de Zamy : l’exigence de mesures concrètes face à une crise systémique

Si le nom de Zamy Wanderson est le catalyseur de cette mobilisation, les revendications portent sur une crise bien plus large. Les jeunes manifestants ne réclament pas seulement que le ou les responsables de ce tir soient identifiés, jugés et sévèrement punis. Ils exigent des réponses structurelles à une insécurité qui gangrène tous les aspects de leur vie.

Ils marchent pour exiger :

1. La fin de l’impunité : La clé de voûte de la crise haïtienne. Les auteurs de violences, qu’ils soient bandits, agents de l’État ou miliciens, agissent en toute impunité. La justice est perçue comme absente, corrompue ou inefficace. La punition exemplaire du garde responsable serait un signal fort que plus aucun crime ne sera toléré, surtout lorsqu’il est commis par l’État.
2. Un environnement scolaire sécurisé : Les écoles, autrefois sanctuaires du savoir, sont devenues des cibles. Enlèvements contre rançon aux abords des établissements, violences, recrutement forcé par des gangs… L’éducation elle-même est prise en otage. Les jeunes exigent un plan concret de sécurisation des établissements scolaires et de leurs alentours.
3. Le désarmement : Comment un agent de sécurité du ministère de l’Éducation a-t-il pu faire usage de son arme de manière aussi irresponsable et mortelle ? La marche questionne la prolifération incontrôlée des armes à feu et leur usage disproportionné par les forces de sécurité.
4. Une réponse gouvernementale claire : Le silence ou les déclarations lénifiantes des autorités ne suffisent plus. La jeunesse exige une reconnaissance officielle de leurs souffrances et la mise en place immédiate d’une task-force pour traiter leurs revendications.

Le symbole d’un pays à la croisée des chemins

La marche pour Zamy Wanderson transcende l’événement ponctuel. Elle est le symptôme d’une faillite de l’État et le baromètre de l’espoir d’une génération. Ces jeunes, souvent stigmatisés ou ignorés, démontrent par leur action collective et organisée qu’ils sont conscients des enjeux et déterminés à se battre pour leur avenir.

Ils refusent d’être la « génération perdue » de la crise haïtienne. En marchant, ils reprennent possession de leur droit à l’espace public, de leur droit à la parole, et de leur droit à la vie. Ils adressent un ultimatum aux autorités : soit vous agissez maintenant pour garantir notre sécurité et construire un avenir viable, soit vous devrez compter avec une jeunesse de plus en plus consciente et mobilisée, qui n’acceptera plus de vivre dans la peur.

Le drame de Zamy Wanderson est une étincelle qui a mis le feu aux prairies de la frustration accumulée. Le chemin de Delmas, parcouru par ces milliers de jeunes, est bien plus qu’une route : c’est une allégorie du long et difficile chemin vers la justice et la normalité que toute une nation est condamnée à emprunter. Leur marche est un cri du cœur, un acte de résistance et, peut-être, l’amorce d’un sursaut salvateur pour Haïti. Leur message est simple et universel : Plus jamais ça.

 

Moise Garçon
Journaliste senior et Directeur Exécutif de Transparans

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