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Port-au-Prince, mardi 19 août – Dans un scénario que beaucoup anticipaient tant il semble désormais rodé, l’ancien sénateur des Nippes, Nenel Cassy, a été libéré ce mardi après-midi suite à une audition dans le cabinet du commissaire du gouvernement près le tribunal de première instance de Port-au-Prince, Me Frantz Monclair. Arrêté le 2 août dernier à Pétion-Ville sous le poids d’accusations gravissimes – complot contre la sûreté intérieure de l’Etat et financement d’organisations criminelles –, sa remise en liberté interroge une fois de plus sur la capacité de l’État haïtien à lutter contre l’enracinement de la violence et la porosité entre monde politique et banditisme.

Son arrestation, il y a près de trois semaines, avait brièvement fait souffler un vent d’espoir. Elle intervenait dans un contexte de pression internationale extrême, notamment des États-Unis et du Conseil de Sécurité de l’ONU, pour que des sanctions ciblées soient enfin appliquées aux individus et entités finançant les gangs qui terrorisent la population. Pour ses avocats, Me Monclair et son équipe n’avaient toutefois présenté « aucune preuve tangible » pour étayer ces accusations, qu’ils avaient immédiatement qualifiées de « politiquement motivées » et « infondées ».

Entre attente d’extradition et scepticisme

La détention de Nenel Cassy avait immédiatement alimenté les spéculations les plus folles. De nombreux observateurs avisés, analysant le dossier à l’aune de la politique américaine de sanctions visant les « kingpins » de la violence haïtienne, s’attendaient à une extradition rapide vers les États-Unis. Washington, qui a placé plusieurs anciens officiels et hommes d’affaires haïtiens sur ses listes noires et offert des millions de dollars pour information menant à leur condamnation, est perçu comme le seul acteur capable de briser le cycle de l’impunité.

Cependant, un courant plus sceptique doutait ouvertement de l’implication de « mains internationales » dans ce dossier précis. Pour eux, l’arrestation même de Cassy, figure notoirement connectée, pouvait n’être qu’une opération de communication destinée à apaiser l’opinion publique et la communauté internationale, sans réelle volonté d’aboutir à une condamnation. La rapidité et le timing de sa libération, comme anticipé par certains, semblent aujourd’hui donner du crédit à cette seconde hypothèse, dessinant les contours d’une justice aux ordres, incapable de résister aux pressions du pouvoir.

L’homme des réseaux : au carrefour du pouvoir et de l’argent

La clé de compréhension de cette libération réside très certainement dans le profil même de Nenel Cassy. Il n’est en effet pas un simple ex-parlementaire. Il est un pivot politique incontournable, une pièce maîtresse sur l’échiquier des alliances troubles qui sous-tendent le pouvoir actuel.

Proche à la fois de la mouvance Lavalas et, plus significativement, d’une frange influente du secteur privé, Cassy incarne ces connexions opaques qui permettent aux régimes de se maintenir. Selon plusieurs sources bien informées, son influence ne se limite pas à des relations informelles. Il aurait joué un rôle actif et décisif dans le processus de nomination de deux ministres clés du gouvernement actuel :
Me Patrick Pelicier, l’actuel ministre de la Justice, dont le portefeuille inclut précisément l’action des commissaires du gouvernement.

Madame Kathia Verdier, la ministre novice des Haïtiens Vivant à l’Étranger (MHAVE), une nomination qui avait suscité de vives critiques et des interrogations au sein de la diaspora haïtienne, dénonçant son manque d’expérience et la nature opaque de sa désignation.

Comment, dans ces conditions, imaginer que le commissaire du gouvernement, placé sous la tutelle du ministère de la Justice, puisse mener une instruction indépendante et inflexible contre un homme qui a eu son mot à dire dans la nomination de son propre supérieur hiérarchique ? La structure même du pouvoir semble garantir l’impunité à ses architectes.

Un passé judiciaire qui n’entame pas son influence

Il est crucial de rappeler que Nenel Cassy n’en est pas à sa première arrestation. Son parcours politique est jalonné de démêlés judiciaires qui, jusqu’à présent, n’ont jamais entravé durablement son influence ou sa liberté de mouvement. À chaque fois, les charges pesant contre lui se sont évaporées, ont été classées sans suite ou ont débouché sur une libération faute de preuves suffisantes – ou de volonté politique pour les rassembler.

Cette récurrence construit l’image d’un homme à la fois controversé et intouchable. Il incarne un système où la justice n’est pas un appareil impartial chargé de faire respecter la loi, mais un instrument de négociation et de pression au service des intérêts des clans en présence. Son arrestation du 2 août apparaît rétrospectivement comme une parenthèse, un coup d’épée dans l’eau destiné à calmer les esprits avant que le statu quo, soigneusement préservé, ne reprenne ses droits.

Un message cynique envoyé à la nation

La libération de Nenel Cassy ce 19 août n’est pas une simple nouvelle judiciaire. C’est un symbole puissant et décourageant de l’état de la République.

D’un côté, elle envoie un message glaçant à la population, qui endure au quotidien les conséquences catastrophiques des alliances entre le monde politique, économique et les gangs armés : ceux qui sont accusés de nourrir le feu de la violence qui la consume jouissent d’une impunité totale, protégés par leurs connexions au plus haut niveau.

De l’autre, elle adresse un signal de défiance à la communauté internationale, montrant les limites des appels à la justice et la résilience des réseaux d’intérêts locaux. Si un homme aussi visiblement connecté que Cassy ne peut être retenu en détention, sur quelles bases croire que quiconque, fut-il le plus grand parrain de violence, pourra un jour être inquiété ?

Sa libération, loin de clore le dossier, ouvre une boîte de Pandore de questions sur l’équilibre des pouvoirs, l’indépendance de la justice et la réelle volonté des autorités en place d’affronter les démons qui détruisent le pays. Elle confirme que dans la crise haïtienne, le plus grand obstacle à la paix n’est pas l’absence de lois, mais l’existence d’une classe d’hommes qui se considèrent au-dessus d’elles.

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