par Carly Dollin
En 2018, à chaque fois
que l’on comptabilisait 100 dollars de richesse économique dans l’économie haïtienne, 38 dollars provenait de
sa vaillante force de travail de la diaspora. Le graphique ci-après dépeint
avec clarté la forte dépendance de l’économie nationale, de ses ressources
humaines évoluant à l’extérieur du pays, au cours de la dernière décennie.
Depuis 2003, les fonds en
provenance de la diaspora, véritables bouffées d’oxygène pour supporter et
booster l’économie locale, représentent toujours plus de 20% de la richesse
produite par le seul pays pauvre de l’Hémisphère américain. En 2017, un record
de 32% du ratio transfert/PIB a été battu ; et cette prouesse a été détrônée
au cours de l’année suivante, en 2018, où l’économie haïtienne au PIB de 8.36
milliards de dollars avait reçu de sa généreuse diaspora un montant de 3.2
milliards de dollars (38% du PIB), soit le plus important transfert monétaire, de
toute l’histoire, injecté dans l’économie nationale tant en termes relatifs
qu’en termes absolus. Les taux de croissance des transferts financiers vers Haïti,
pour les deux années charnières de réceptions de fonds de la diaspora, 2017 et
2018, ont atteint respectivement 15% et 17%. Sur les vingt dernières années,
les transferts dessinent toujours, en valeurs absolues, des tendances à la
hausse, avec un taux de croissance moyen de 12,37 % sur la période. Et, au
cours de la dernière décennie, le pattern des valeurs relatives des transferts
par rapport au PIB, suit toujours une allure croissante, sauf de 2011 à 2012 où
aucune différence relative notable n’a été enregistrée entre les montants de
transferts de ces deux années post-séismes.
Haïti occupe la tête du peloton des ratios Transferts/PIB
de la région
L’Organisation
Inter-American Dialogue Center[1]
rapporte, dans une analyse croisée des transferts de la région, qu’en 2017, 75
milliards de dollars ont été envoyés vers 17 pays de l’Amérique Latine et la
Caraïbe, soit une augmentation[2] de
8.5%, en comparaison avec l’année antérieure. En raison de la taille rachitique
de l’économie haïtienne, le montant de 3.2 milliards de dollars comparé aux 8.5
milliards de son PIB en 2017, a été le plus important ratio de transferts de la
région. Mais, en termes absolus, la palme a été décrochée par le Mexique (28.6
milliards), le plus grand géant économique de la région. Suivent dans cet ordre
décroissant, le Guatemala (8.2 milliards), la République Dominicaine (5.9
milliards) et la Colombie (5.58 milliards). Si en termes relatifs, Haïti est le
champion des transferts, le montant injecté dans l’économie haïtienne représente,
par contre, moins de la moitié des montants de transferts domestiques reçus par
vers la République voisine (7.8% de son PIB). Au niveau de la région de l’Amérique
Latine et la Caraïbe, le deuxième de la classe après Haïti, le Honduras[3],
s’écarte amplement du lauréat, avec seulement 19.5%, alors que la force de la
diaspora haïtienne participe à la création de la richesse observée dans le
pays, à plus de 30%, en 2017 et en 2018. L’étude réalisée, par L’Organisation
Inter-American Dialogue Center, pointe la peur de de la déportation, accentuée
sous l’administration Trump, comme l’un des principaux facteurs de ces
augmentations de transferts, dont les Etats-Unis détiennent toujours la part du
lion. La fluctuation du taux de change, les importants taux d’inflation des pays
bénéficiaires ainsi que les balbutiements politiques des pays d’origine du
migrant s’ajoutent dans la panoplie des raisons des augmentations des
transferts vers la région.
Dans le cas d’Haïti,
l’accroissement vertigineux de la force de travail haïtienne, particulièrement
vers le Chili, en constitue le véritable moteur de la hausse des transferts. De
seulement 7 millions en 2015, les envois d’argent du Chili[4]
vers Haïti sont passés à 92 millions de dollars américains en 2017. Au cours de
la même année, 1,3 milliard de dollars provenaient d’environ 670,000 haïtiens
résidents aux États-Unis ; l’autre partie résultait en grande partie de
l’apport des compatriotes du Canada (environ 260 millions de dollars), du Chili
(environ 87 millions), de la République Dominicaine (environ 270 millions) et de
la France (environ 190 millions).
Une photographie de l’effectif de résidents Haïtiens en
terre étrangère
Approximativement, deux
millions de personnes d’origine haïtienne vivent à l’étranger. En 2015, on y
comptait 329 mille en République Dominicaine, 93 mille au Canada, 74 mille en France
et 28 mille aux Bahamas. Aujourd’hui, presqu’un million de personnes sur le
territoire de l’Oncle Sam, soit 953 908, se sont déclarées
d’ascendance haïtienne, selon l’enquête de l’American
Community Survey menée en 2015. Récemment, les pays de l’Amérique Latine,
notamment le Chili et le Brésil, sont devenus le principal pôle d’attraction de
la jeunesse haïtienne, désespérée et frustrée dans un pays qui ne lui présente
aucune alternative planifiée et réaliste. Selon les statistiques de la police
d’investigation chilienne (PDI), le territoire de Salvador Allende abrite
actuellement plus de 165 mille Haïtiens ; et ils sont plus de 100 mille au
pays natal de Neymar.
Ce tableau met en lumière
le niveau de précarité interne de l’Etat haïtien à mobiliser rationnellement
ses brillants professionnels et ses brillants étudiants qui sont obligés de se
décapitaliser financièrement et socialement en quête d’un mieux-être, souvent
illusoire, en terre étrangère ; car dans de nombreux cas, ils sont la
proie d’exploiteurs, de prédateurs et d’oppresseurs racistes et xénophobes.
Certaines étoiles haïtiennes scintillent de mille feux à
la diaspora
Les chromosomes d’humains
en provenance d’Haïti capables de réussite et de grand succès dans les domaines
scientifiques, littéraires et artistiques ont pu être mis en exergue et attirés
par les projecteurs internationaux grâce aux ouvertures économiques et sociales
de certains pays hôtes, mais surtout grâce aux monstres sacrifices et gigantesques
efforts des enfants, des jeunes, des étudiants, des sportifs, des professeurs,
des artistes et des écrivains Haïtiens tant de la diaspora qu’au niveau local.
Par leur ingéniosité et
par leurs actes surhumains à la fin du 18e et au début du 19e
siècle, nos ancêtres ont certes marqué l’histoire du monde civilisé en mettant
fin aux pratiques esclavagistes et en tenant allumé le flambeau de la liberté,
de la paix, de l’égalité, de la justice et de la fraternité. Des œuvres qui ont
fourni de la consistance, de l’essence et de la matière à l’illustre
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, rédigée à Paris en décembre
1948. Par contre, depuis cette fameuse prise de liberté et particulièrement au
cours des dernières décennies, à cause des orgueilleuses et négativistes forces
internes et externes de l’ombre, Haïti n’a pas pu mettre en valeur ses
ressources humaines et naturelles pour actionner et intensifier ses moteurs de
croissance et de création de richesse pour sortir de l’ornière du
sous-développement et de la pauvreté.
Prouvant un courage
surprenant et une audace indescriptible, de nombreux Haïtiens évoluant en
Haïti, se sont distingués dans différents domaines pour briller sur la scène
internationale. Mais, en raison de la myopie, de l’absence de vision et de
leadership des dirigeants, Haïti ne fournit pas les encadrements et les moyens
pour inscrire de tels résultats, qui s’apparentent à des miracles, dans un
cadre institutionnel. Le sacre et le couronnement de JeanJean Roosevelt en
France pour le Prix RFI en 2013, les prix remportés par d’illustres écrivains
Haïtiens dont Lyonel Trouillot et Gary Victor sur la scène internationale,
l’exploit de la sélection haïtienne U-17 au mondial de Corée 2007, la brillante
participation des jeunes filles haïtiennes U-20 au mondial de football de 2018,
sont perçus, au regard des précarités structurelles et infrastructurelles dans
le pays, tout bonnement comme des miracles.
Combien de JeanJean Roosevelt, de Gary Victor,
de Lyonel Trouillot, de Belo, de Pierre Jean Jaques, de Will Donald Guerrier
sont atrophiés, engloutis, et enterrés avec leurs talents, détruits dans la
jungle, mais qui nécessitaient de simple encouragement et d’un minimum d’encadrement
pour parvenir à se hisser sur le plateau mondial. Ce qui aurait rapporté directement
des centaines de millions de dollars annuellement au pays et, en même temps, embelli
son image aux yeux de l’extérieur.
Les comportements prédateurs des vampires politiques
asphyxient le développement du pays
Les projecteurs sont allumés,
sur les plateaux internationaux, pour exposer les actions et les œuvres
éblouissantes de nombreux compatriotes, grâce aux systèmes compétitifs et
démocratiques établis par des nations modernes de l’Occident. Peut-être que ces
talents et ces génies, affichés à la face du monde, seraient évincés au stade
fœtal s’ils devaient évoluer dans leur propre pays. Que serait l’immortel
académicien Danny Laferrière s’il n’avait pas eu la chance de
« bénéficier » de l’exil du pouvoir dictatorial de Duvalier vers le
Québec en 1976 ? Que serait cette héroïne, cette icône, ce génie de
seulement 22 ans, actuellement numéro 1 mondial du tennis féminin, si elle
devait être élevée plutôt en Haïti qu’en Floride, par ses grands-parents
Haïtiens ? Que seraient Michaelle Jean, Patrick Paultre, Wilson Sanon,
Jozi Altidor, Samuel Pierre, Jimmy Jean Louis, Skal Labissière, Mario Elie,
Samuel Dalembert,… s’ils n’avaient pas eu l’opportunité d’exposer leurs talents
et de frotter leurs méninges dans des systèmes et des pays compétitifs et égalitaires
comme les Etats-Unis et le Canada ? Évidemment, leur chance d’éclosion et
de propulsion vers des positions immortelles serait énormément faible.
Combien de Nahomi Osaka
François, combien de Michaelle Jean sont assassinées par ce pays inégalitaire
doté de la déveine d’être dirigé par des incompétents et des
irresponsables ? Combien de Mbape, de Ronaldo, de Ronaldinho, de Neymar et
de Messi Haïtiens, avons-nous raté de déguster dans la liga, la ligue 1, le calcio,
le Premier League, la ligue des Champions, à cause de la myopie et de la
petitesse cervicale de nos dirigeants ? Evidemment, on ne saurait les
énumérer avec précision. Mais on sait qu’ils sont nombreux ; ils ont un
talent inné, ils ont la détermination ; mais pas les moyens et les
encadrements pour s’éclater et exposer leurs génies et leurs talents au monde
entier, et ainsi participer amplement à la création de la richesse haïtienne.
Insuffisance de moyens et d’encadrement, un prétexte
classique des irresponsables
Les dirigeants
insensibles, ces prédateurs qui se transforment rapidement en raquetteurs
économiques, sortent fort souvent la carte du prétexte de manque de moyens pour
encadrer les enfants et les jeunes. Pourtant, des milliards de dollars, en
provenance d’Haïti, sont volés en fumée vers la République Dominicaine, vers
l’Europe et en Amérique pour renflouer les comptes en banque d’anciens et
actuels dirigeants politiques Haïtiens. Des centaines de millions de dollars
sont gaspillés et dilapidés en permanence par les ministères, les organismes
autonomes et déconcentrés et par la présidence au profit de firmes bidon et de
projets mesquins qui enrichissent illicitement nos déshonorables politiciens
Haïtiens. Des millions de dollars sont versés constamment aux députés et aux
sénateurs rançonneurs en toute occasion (fêtes de carêmes, fêtes de champêtres,
programmes Ti-Rat, programmes Ti-Sourit, etc.). Pourtant, Ti Pierre,
Ti-Jocelyne, Ti-Christian, Ti-Samuel, Ti-Gina, Ti-Sandra ne puissent avoir
accès à des ballons et des raquettes de tennis, des ballons de football et de
basketball, des terrains de jeu, des plumes, des crayons, des cahiers, des
parcs sportifs, des bibliothèques, des salles informatiques, de l’électricité,
pour libérer les talents et le génie en hibernation chez eux.
Ces boulimies, ces
mépris, ces prédations et égocentrismes honteux de nos vampires politiques – qui
s’enferment dans des espaces hermétiques pourvus d’oxygène immunitaire et
n’ayant d’yeux et d’attention que pour les rackets économiques – paralysent le fonctionnent
des institutions et le développement du pays. Leurs pratiques corruptibles
permanentes, exacerbant les faussées et les inégalités économiques et sociales,
sont des crimes non seulement envers la nation et envers l’humanité mais
également envers Dieu.
L’éducation des enfants
et des jeunes, la nourriture dans les assiettes des familles, l’argent dans les
poches de la population, les soins médicaux et les paiements des loyers, sont
assurés par la vigoureuse et vertueuse force de la diaspora haïtienne. Elle
constitue l’essence de l’alimentation touristique en Haïti. Selon un rapport de
l’OIT, en moyenne neuf (9) touristes sur dix (10) séjournant[5] en
Haïti, sont des compatriotes vivant à l’étranger, attachés à leur patrie, à
leur pays, et leurs familles, qui y sont revenus pour se ressourcer
psychologiquement, se détendre dans les fêtes patronales, pour passer des
moments jouissifs en compagnie de leurs familles et de leurs amis.
De nombreux, dont
certains exilés du passé duvaliériste, se sont immortalisés dans les panthéons
de l’histoire de la littérature moderne, de la science, dans les arts et la
culture internationale. Ils contribuent de manière concrète tant sur le plan
économique que sur celui de l’image, à permettre à Haïti de respirer à pleins
poumons, en dépit des contextes économiques précaires. Pourtant, Haïti n’a pas
su octroyer à cette force économique courageuse, l’attention et l’importance
méritées pour s’impliquer activement dans les affaires politiques et
économiques viables du pays.
Malgré les humiliations,
les ostracismes et les désavantages dont ils sont l’objet, au regard de la
constitution et des obstacles dressés à dessein par les vampires politiques et
économiques, la diaspora continue de s’accrocher fidèlement à sa terre natale.
Et si on concevait un cadre politique et économique attractif pour ces ressources
humaines externes viables et laborieuses du pays, leur accordant le plein droit
de vote et de candidature ; il est certain que de nombreux hôpitaux,
beaucoup d’écoles professionnelles et d’entreprises sociales auraient été
construits. Ainsi, la diaspora participerait plus activement à changer le décor
à travers la création d’emplois décents et de richesses durables pour favoriser
de meilleures conditions de vies de la population.
Carly
Dollin
[1] https://www.thedialogue.org/wp-content/uploads/2018/01/Remittances-2017-1.pdf
[2] https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2018/04/23/record-high-remittances-to-low-and-middle-income-countries-in-2017
[3] https://lenouvelliste.com/article/182459/les-transferts-de-la-diaspora-representent-34-du-pib-dhaiti-en-2017
[4] https://rezonodwes.com/2018/07/17/chili-les-transferts-dargent-vers-haiti-ont-ete-multiplies-par-13-de-2015-a-2017/
[5] http://haiti-progres.com/news/2018/01/31/la-diaspora-haitienne-un-actif-peu-ou-mal-utilise/