La question de la restitution de la dette coloniale française à Haïti, vieille de deux siècles, ressurgit périodiquement dans les débats internationaux. En 1825, la France a imposé à Haïti, première république noire indépendante, une indemnité exorbitante de 150 millions de francs-or pour reconnaître son indépendance. Un « tribut » qui a étranglé l’économie haïtienne et dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui. Emmanuel Macron, tout en évoquant une « dette morale », peine à concrétiser ses promesses. Pourtant, dans un contexte haïtien marqué par l’instabilité politique, l’absence d’institutions légitimes et une corruption systémique, la France doit-elle agir immédiatement ou attendre ? Cet article explore les dimensions historiques, éthiques et pratiques de ce dossier explosif.
Le poids de l’histoire : La dette de l’indépendance, un crime économique
1.1 Le chantage de 1825 : Indépendance contre rançon
En 1804, Haïti devient la première nation à abolir l’esclavage par une révolte d’esclaves. Mais en 1825, sous la menace d’une flotte militaire française, le pays est contraint de signer l’« ordonnance de Charles X », s’engageant à verser 150 millions de francs-or (équivalent à 21 milliards de dollars actuels) pour compenser les anciens colons. Haïti emprunte auprès de banques françaises, s’endettant jusqu’en 1947.
1.2 Un héritage dévastateur
Cette dette a siphonné 80 % des recettes fiscales haïtiennes pendant des décennies, empêchant tout investissement dans l’éducation, les infrastructures ou la santé. Selon l’économiste Thomas Piketty, ce pillage structurel explique en partie le sous-développement actuel d’Haïti, classé 170ᵉ sur 189 pays à l’Indice de développement humain (PNUD, 2023).
II. Macron et la « dette morale » : Un discours populiste ?
2.1 Les ambiguïtés d’Emmanuel Macron
En 2015, lors d’une visite en Haïti, Macron qualifie la colonisation de « crime contre l’humanité » et reconnaît une « dette morale ». Cependant, aucun plan concret n’est proposé. En 2022, face à la crise haïtienne, il réitère l’importance de « réparations justes », mais évite toute engagement financier direct, suscitant des critiques sur son opportunisme électoral.
2.2 La position française : Entre silences et calculs
La France argue que les 90 millions d’euros d’aide annuelle suffisent. Pourtant, des ONG comme le CREST estiment que la dette historique équivaudrait à au moins 30 milliards de dollars aujourd’hui. La réticence française s’explique aussi par la crainte de créer un précédent pour d’anciennes colonies.
III. Haïti en 2024 : Un État fantôme ?
3.1 Le vide politique après l’assassinat de Jovenel Moïse
Depuis le meurtre du président Moïse en 2021, Haïti sombre dans le chaos. Les gangs contrôlent 80 % de Port-au-Prince, les élections sont reportées sine die, et le gouvernement intérimaire d’Ariel Henry, non élu, est jugé illégitime par une large partie de la population.
3.2 Corruption : Un mal structurel
Haïti occupe la 164ᵉ place sur 180 à l’Indice de perception de la corruption (Transparency International, 2023). Des détournements massifs, comme le scandale PetroCaribe (3,8 milliards de dollars disparus entre 2008 et 2016), illustrent l’incapacité de l’État à gérer les fonds.
IV. Restitution ou réparations ? Les scénarios possibles
4.1 Attendre un gouvernement légitime : Un préalable réaliste
Sans interlocuteurs crédibles, toute négociation risque d’alimenter les conflits internes. L’Union européenne et l’ONU insistent sur des élections libres comme condition préalable.
4.2 Un fonds souverain sous supervision internationale
Pour contourner la corruption, des experts proposent un mécanisme indépendant, co-géré par des institutions comme la Banque mondiale et des représentants de la société civile haïtienne. Les fonds seraient alloués à des projets ciblés (écoles, hôpitaux, énergie).
4.3 Annuler la dette actuelle… mais laquelle ?Haïti doit aujourd’hui 3,8 milliards de dollars à des créanciers internationaux. La France pourrait plaider pour une annulation multilatérale, mais cela ne règlerait pas la question historique.
V. Réparations vs. Realpolitik : Le dilemme français
5.1 Le risque de l’ingérence
Une restitution directe pourrait être perçue comme une nouvelle forme de colonialisme, la France imposant ses conditions.
5.2 L’urgence éducative : Un investissement sur 20 ans
Avec un taux d’analphabétisme de 40 % et seulement 20 % des élèves atteignant le secondaire, Haïti a besoin d’un plan Marshall éducatif. La France pourrait financer la formation de 100 000 enseignants et la construction de 5 000 écoles.
La restitution de la dette haïtienne n’est pas qu’une question d’argent : c’est un impératif moral pour la France, mais aussi un test de sa capacité à agir avec humilité et efficacité. Cependant, dans un contexte haïtien aussi volatil, précipiter le processus reviendrait à jeter de l’essence sur un incendie. La solution réside dans une approche tierce, transparente et patiente, combinant annulation des dettes actuelles, investissements ciblés et soutien à la démocratie locale. Comme le résume l’historien haïtien Michel-Rolph Trouillot : « La France doit payer, mais Haïti doit décider. »
Moïse Garçon, Éditeur Exécutif de Transparans, est un journaliste et chercheur indépendant, président de VIZAJ Diaspora, coordonnateur de la Proposition Citoyenne, militant des droits humains et leader communautaire.
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