Vendredi 26 janvier 2018 ((rezonodwes.com))– Depuis quelques années, l’intelligence artificielle a connu un développement rapide qui en a fait une technologie viable. Des machines apprenant au fil de l’expérience, s’adaptant aux éléments nouveaux et effectuant des tâches naguère réservées aux êtres humains sont entrées dans nos vies, que nous en soyons ou non conscients.
Dans un monde marqué par le rythme vertigineux du changement et de l’innovation, il s’agit pour les gouvernements et les décideurs de profiter des bienfaits de l’intelligence artificielle, sans être écrasés par des robots qui se mettraient à nous dominer comme dans nos pires cauchemars. Comment faire ? La réponse est simple : il faut les faire travailler pour nous.
La Directrice générale du FMI, Christine Lagarde, a récemment réuni quelques-uns des plus grands noms du domaine de l’intelligence artificielle : Malcolm Frank (Cognizant), Martin Ford, auteur de L’avènement des machines : Robots & intelligence artificielle : la menace d’un avenir sans emploi, Martin Fleming, Chef de l’analyse des données de IBM, ainsi que deux professeurs au MIT, Andrew McAfee et Simon Johnson, ancien économiste en chef au FMI.
Quatre aspects de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique ont de l’importance pour les travaux du FMI :
1. Gouvernance : Le FMI et ses pays membres devront réfléchir à la provenance des données et aux problèmes de confidentialité et de consentement éclairé avant de fonder leurs analyses et leurs conseils sur les données massives (« big data ») ou les algorithmes utilisés pour tirer des conclusions. Les données massives sont dynamiques, hétérogènes, et peuvent provenir de secteurs qui ne correspondent pas rigoureusement aux axes de responsabilité ou de compétence existants du FMI. Par exemple, les données provenant du commerce électronique, l’Internet des objets, les données satellites, les données issues des chaînes d’approvisionnement et des chaînes logistiques, ne sont pas encore pleinement comprises ni intégrées dans notre mode d’évaluation de la santé de l’économie d’un pays. Le FMI et les pays devront apprendre à utiliser ces données de microniveau.
2. Marchés du travail : Dans quelques années, les marchés du travail seront différents. Il y aura moins d’emplois de qualification intermédiaire, comme chargé d’indemnisation dans les sociétés d’assurance, et moins d’emplois effectués depuis un poste physique déterminé, comme cariste ou technicien d’ordonnancement des commandes. Ces emplois ont jusqu’à maintenant bien résisté aux délocalisations et à l’automatisation, mais ils pourraient bientôt disparaître avec les progrès de l’intelligence artificielle, qui permet aux robots de prendre des décisions dans des situations ambigües. Cela a des implications sur les systèmes d’éducation, de retraite et de protection sociale. Beaucoup d’emplois occupés actuellement par les classes moyennes pourraient disparaître, ce qui ferait augmenter le chômage ou le sous-emploi. Pour certains emplois, un recyclage approfondi sera indispensable pour que les travailleurs puissent remplir leurs fonctions. Un grand nombre de pays connaissent déjà un vieillissement démographique rapide. Si de grandes quantités de travailleurs quittaient le marché du travail prématurément, les États auraient encore plus de mal à financer la protection sociale et les retraites.
3. Fiscalité : Implicitement, si les marchés du travail détruisaient rapidement les emplois de faible et moyenne qualification, comme beaucoup le prédisent, les structures budgétaires d’un grand nombre de pays devraient s’adapter à la diminution de la part du PIB imputable aux salaires et rémunérations. Dans les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), la moitié environ des recettes de l’État provient de l’impôt sur le revenu des personnes physiques ou des cotisations sociales. Si la part du travail diminue dans les pays développés, les structures fiscales devront être transformées pour maintenir les recettes de l’État à peu près à leur niveau actuel et éviter de nouvelles désincitations à la création d’emplois. Par exemple, le fondateur de Microsoft, Bill Gates, a émis l’idée d’une taxe sur les robots.
4. Équité sociale : La prise de décision par ordinateur doit pouvoir être examinée et inspectée, et ne doit pas être une simple version automatisée de schémas mentaux qui intègrent les inégalités sociales héritées du passé. Par exemple, certaines entreprises utilisent l’analyse de données pour moduler les prix pratiqués en fonction de l’acheteur en utilisant des modèles prédictifs censés les renseigner sur le flux de revenu qu’elles peuvent espérer tirer de tel ou tel client. Certains clients qui ne correspondent pas à un profil optimal pourront être « discrètement poussés vers la sortie ». Exclure ainsi certaines catégories de clients peut contribuer à les marginaliser davantage, ce qui conduit à une prophétie autoréalisatrice.
En général, les économistes construisent des modèles puis les affinent pour réduire les erreurs et les rendre plus robustes. Beaucoup de méthodes d’intelligence artificielle sont imperméables à l’analyse extérieure : les logiciels d’intelligence artificielle apprennent en permanence et s’adaptent au gré des nouvelles données qu’ils rencontrent. Après des millions d’itérations, l’algorithme même aura beaucoup changé. Difficile d’imaginer que l’opinion publique se satisfassed’un argument tel que « C’est la solution prescrite par l’algorithme » comme fondement de l’action publique.
Et maintenant ?
Il est clair que toutes les institutions doivent tenir compte de l’impact de l’évolution rapide de notre monde sur leurs activités. Le FMI continuera donc de consulter des experts pour promouvoir l’échange d’informations et mettre au point des formations afin de permettre à son personnel d’utiliser ces nouvelles technologies lorsqu’elles deviennent disponibles. Il pourra ainsi, avec ses pays membres, veiller à ce que l’intelligence artificielle serve le bien public.
Brian McNeill