Les gouvernements de doublure sont un fardeau pour le pays. Ils causent plus de torts au pays que les catastrophes naturelles combinées qui l’ont frappées de l’indépendance à nos jours. Ces raquetteurs politiques font tout pour retarder le développement du pays pendant qu’ils assurent servilement la défense des intérêts de leurs maîtres nationaux et internationaux…
Vendredi 17 janvier 2020 ((rezonodwes.com))– Haïti a toujours fait la fâcheuse expérience des gouvernements de doublure. C’est un fait récurrent dans l’histoire nationale qui remonte plus ou moins après la chute du président Jean Pierre Boyer (1818-1843). Historiquement, Rivière Herard (31 Décembre 1843- 3 Mai 1844), est considéré comme le premier président haïtien de doublure. L’élite composée de mulâtres, se sentait menacée et ne voulait pas trop s’exposer à la colère populaire, a donc changé de paradigmes. Elle a décidé de ne plus participer directement à la gestion politique du pays. Toujours en service commandé, cette élite a opté pour un jeu macabre qui consiste à utiliser des éléments issus des masses et des classes moyennes plus ou moins éduquées dont elle tire les ficelles pour défendre ses seuls intérêts.
Le pays en a tellement connu ces types de dirigeants insignifiants au service quasi exclusif d’un cartel économique, se constituant en petit clan mafieux, qu’il est inutile d’en faire le décompte. Toutefois, on ne peut pas mettre tout le monde dans le même panier. Il faut admettre qu’il existe des éléments de cette élite qui ont bâti leurs richesses honnêtement par le travail. Ceux-ci jouissent d’un certain respect. Pas d’amalgame!
Nombreux, sont ceux qui ont accepté volontiers de jouer le rôle d’abrutis et de pantins. L’histoire nationale est jalonnée de ces larbins qui se prostituent pour arriver aux timons des affaires juste pour jouir des privilèges et avantages qu’offrent leurs fonctions sans véritablement animés d’intentions pour servir la nation. Ce sont, en fait, des individus qui se servent de la politique non pour servir le pays, mais pour servir les intérêts de leurs maîtres qui agissent dans l’ombre. Et ils ne s’appuient que sur les ambassades et l’oligarchie pour arriver au pouvoir ou se maintenir au pouvoir.
Cependant, il y a ceux qui se sont distingués par leur indépendance et surtout leur insoumission aux forces du mal. Autrement dit, les exceptions à ce qui semble être une règle de la politique nationale, sont rares. Il existe très peu de dirigeants haïtiens qui n’ont pas été des collabos au service des ennemis du pays et qui ont su affirmer un certain degré de patriotisme et de dignité. On notera aussi que ceux-ci ont toujours payé le prix fort de leur insoumission. Le président Dumarsais Estimé (16 Août 1946-10 Mai 1950) en est une des rares exceptions. Les forces d’argent sales, les forces obscurantistes et anti-progrès se dressent toujours contre eux. Il en résulte que les leaders populaires, progressistes et compétents sont mis hors-jeu et n’ont pas beaucoup de chance d’accéder aux instance de décision du pays pour opérer les changements indispensables à l’amélioration substantielle des conditions matérielles d’existence de la majorité des haïtiens. C’est un obstacle majeur.
Autrefois, les dirigeants de doublures étaient recrutés sur la base de leur âge avancé, leur incompétence et leur incapacité de se défaire de leurs bienfaiteurs. Cependant, il y a eu quand même certaines surprises. Faustin Soulouque en est l’un des meilleurs exemples. En 1847, Faustin Soulouque a été désigné président par la bourgeoisie mulâtre qui, de tout temps, a toujours fait et défait les présidents dans le pays. En 1849, deux ans plus tard, refusant de jouer le rôle de marionnette, le président Soulouque s’est proclamé empereur sous le nom de Faustin 1e. Mécontents, les faiseurs de roi, le déposent en 1859 après 12 ans de règne.
De nos jours, les choses ont un peu évolué. Les doublures sont recrutés selon de nouveaux critères. Pour trouver grâce aux yeux des recruteurs internationaux et leurs sous-traitants nationaux, il importe peu d’être intègre, d’être compétent ou d’avoir un bon passé. Au contraire, plus on est corrompu, accusé d’implication dans des affaires louches comme les crimes financiers ou crimes de sang, connu pour être en connection avec les secteurs du crime organisé, pauvre d’esprit, minable, ignorant sa propre histoire et surtout prêt à trahir sa patrie, plus on est qualifié pour être les dignes gardiens des intérêts de ceux qui planifient le malheur d’Haïti.
Rien n’est plus absurde que d’avoir des dirigeants dont les actes sont dictés, non pas par les lois de la République et l’obligation de satisfaire aux besoins de base de leurs mandants, mais par un petit cartel d’affairistes nationaux et internationaux, d’avares sans scrupules, une minorité n’ayant véritablement aucune attache, aucune appartenance réelle au pays. Ce cartel composé d’individus indifférents à la misère et aux souffrances des haïtiens modestes, ne considèrent Haïti que comme leur lieu d’affaires, leur lieu de travail où ils peuvent conduire toutes sortes d’affaires, même les affaires les plus illicites, sans s’inquiéter. L’impunité dont jouit ce cartel qui contrôle à la fois l’économie et la politique, est garantie. Il le sait. Les membres du cartel sont intouchables et au-dessus des lois et de ceux qui sont chargés de les faire appliquer. C’est un mal récurrent dont souffre amèrement le pays. Et l’impact de cette situation sur les masses urbaines et rurales est désastreux.
En plus de s’accaparer de la majorité de la richesse nationale, avec la complicité de certains acteurs politiques apatrides issus majoritairement de la “classe moyenne”, sans vision et assoiffés de pouvoir, ce cartel a fait mainmise sur l’appareil électoral et politique pour imposer à la nation des éléments soumis, des hommes de paille, sans dimension qui lui sont fidèles et loyaux pour défendre ses seuls intérêts. Évidemment, il n’y a aucun mal à ce qu’un individu soit riche. Encore faut-il, d’un point de vue moral, questionner la façon dont cette richesse est produite et à quoi elle sert. La politique n’a pas pour but essentiel d’acquérir et conserver le pouvoir. Elle consiste aussi à créer les conditions de production de la richesse et de gestion de cette richesse. Mais la politique a pour fin aussi de permettre à chacun d’atteindre l’excellence. Ce qui revient à dire que gouverner ne consiste pas uniquement à gérer la richesse, mais à en assurer une distribution équitable permettant à chacun d’y participer. Quand dans un pays, 5% de la population détient près de 80% des ressources nationales, c’est plus qu’un scandale. C’est inacceptable; d’autant que le pays ne connaît de croissance véritable qu’au niveau démographique, de la misère et de l’appauvrissement à outrance…
Depuis bien des lustres, ce sont les forces d’argent, toutes sortes d’argent qui, à travers un sordide jeu de trafic d’influence politique, font et défont les gouvernements-lesquels gouvernements sont dévoués entièrement à leur cause et au détriment des intérêts supérieurs de la nation. In fine, après avoir tout siphonné, ils vous diront, éhonté, qu’il faut réserver un “petit reste au peuple”. Dans leur petitesse et leur étroitesse d’esprit, ils pensent et voient tout en miniature. Ils se croient suffisamment brillants et intelligents, quoique minables, pour penser que le peuple haïtien peut vivre et se contenter de miettes. Quelle insulte!
Au cours de ces dernières années, par le pouvoir de l’argent, ce cartel, avec la complicité de courtiers issus d’une certaine classe moyenne, a dénaturé et perverti le système électoral pour changer les normes et l’équation du suffrage universel. Désormais, ce n’est plus un homme une voix, mais mille gourde pour une voix. Autrement dit, le pouvoir c’est l’argent et le pouvoir de l’argent serait sans limite, croit-on. Le pouvoir politique est donc pris en otage et dominé entièrement par la finance dont la provenance est souvent douteuse. Cela crée les conditions propices à l’avènement de leaders populistes, démagogues, sans scrupules et surtout sans dimension, souvent des hommes de paille qui sont inféodés entièrement aux intérêts de la minorité de leurs patrons étrangers et au détriment de la grande majorité. Généralement porteurs de discours truffés de slogans creux et incohérents, ils sont prêts à tout pour accéder sans préparation aux fonctions élevées. Cela plonge aussi le pays dans un désordre géopolitique qui fragilise davantage et remet en cause le fragile équilibre du processus démocratique haïtien déjà en péril. Il faut remonter à l’époque de l’occupation américaine pour trouver de dirigeants de doublures aussi serviles et impitoyables que ceux que le pays a connu au cours de cette décennie.
La paix et la stabilité, deux éléments essentiels pour garantir les investissements pour la création d’emplois générateurs de richesse sont entravées. En fait, c’est l’Etat dans son fondement même qui est menacé et pris en otage par la haute finance. L’intégrité de l’Etat se trouve constamment menacé depuis qu’il est mis au service quasi exclusif des interêts d’un secteur du pays. Ceci est d’autant plus grave que l’Etat est dirigé par des leaders qui ne jouissent pas nécessairement de légitimité populaire. Souvent, leur seule légitimité, ils la puisent auprès des ambassades occidentales qui cautionnent toutes sortes de projets anti-démocratique en Haïti. Ces types de leaders deviennent tout simplement des objets de mépris aux yeux de la population. Ils sont détestés et rejetés par le peuple qui ne voit en eux que des ennemis et dés prédateurs. Il en résulte que l’Etat se détourne de sa mission fondamentale. Il consacrer ses resources, ses énergies et son savoir-faire au service presqu’exclusif du cartel qui patronne l’élection des dirigeants. L’Etat ne joue pas son rôle régulateur et serviteur pour se transformer en un État prédateur. Un État qui sert les intérêts privés et qui se moque de la misère des opprimés.
Diriger pour une minorité seulement et se moquer de la misère de la majorité des appauvris est particulièrement cynique et dangereux. En général, cela finit toujours, comme on en a fait l’expérience récemment, par des révoltes sociales. Et on n’est qu’à la genèse des révoltes sociales et populaires; d’autant que le discours dont la majorité s’approprie ne vise pas seulement un changement de gouvernement, mais de système-ce système qui, depuis près de deux siècles, produit les gouvernements de doublure pour empêcher les masses de s’émanciper de l’engrenage de la misère, de l’ignorance et de la pauvreté.
Des mouvements de contestation et des révoltes populaires, on en a vu. Et c’est la meilleure des choses qui puissent arriver dans une société où la gestion de l’Etat se fonde sur le renforcement des inégalités et des injustices sociales, le clientélisme politique, la corruption, la médiocrité, l’incompétence et l’improvisation. Cela agace et exacerbe la colère populaire qui refuse d’accepter ce qui tend à devenir la norme. Après tout, on ne peut pas raisonnablement demander à une population qu’on affame et qu’on dépouille d’être docile et indulgente envers ses bourreaux. Elle doit constamment se rebeller jusqu’à ce que les choses tournent définitivement en sa faveur.
Francklyn B Geffrard
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28 décembre 2019