L’entrepreneur et ancien délégué départemental du Nord, Georgemain Prophète, dans une lettre ouverte adressée le 31 juillet dernier au Dr Pierre Réginald Boulos, critique les prises de position de l’homme d’affaires haïtien d’origine syro-libanaise sur les dossiers du salaire minimum et de la libération des personnes arrêtées dans le cadre des pillages du 6 et 7 juillet 2018 :  » Maintenant, je sais que le mal est plus profond et qu’il faut beaucoup plus de pédagogie et d’empathie pour donner beaucoup plus de soi-même pour travailler beaucoup moins sur le problème et beaucoup plus sur la solution du problème »


Jeudi 1er août 2018 ((rezonodwes.com))–

Port-au-Prince, ce 31 Juillet 2018

Monsieur Reginald BOULOS
En ville

Mon cher Reginald,

Je suis, avec beaucoup d’intérêt, les péripéties que tu traverses ces derniers temps et qui affectent rudement tes entreprises. Mais, tout comme les violences des 6 et 7 juillet, cet acharnement contre toi et les réactions qui ont suivi ce déferlement étaient prévisibles. Dans tes interventions sur les réseaux sociaux, deux éléments m’ont, néanmoins, interpellé : Le premier, c’est sur le salaire minimum.

Non, Reginald, la priorité n’est plus le salaire minimum pour le prochain Gouvernement. Le pouvoir en place doit se mettre à l’écoute des revendications légitimes de la population et laisser aux vrais patrons et aux vrais ouvriers de négocier, le plus librement que possible, le salaire plancher qui garantira la croissance des filières porteuses. Si nécessaire, ils engageront des négociateurs pour en faciliter l’issue heureuse. D’ailleurs, il y a longtemps que l’opposition est passée à autre chose !

La deuxième chose, c’est de te croire en devoir, encore moins, en droit de dicter à un Commissaire de Gouvernement les suites à donner à une enquête judiciaire en cours. Je ne t’en reconnais ni le titre, ni la qualité. A ce sujet, tu gagnerais beaucoup à laisser la justice suivre son cours ! Par contre, si les polices d’assurance que tu aurais dû souscrire ne te permettent pas de remettre sur pied les entreprises vandalisées, il t’est toujours loisible de faire valoir tes droits par devant un tribunal compétent pour réclamer des dommages en réparations pour les pertes encourues.

Victime, comme toi, de destruction de mes moyens de production, j’ai cru que le Gouvernement allait, ou pouvait, résoudre le problème à ma place. Maintenant, je sais que le mal est plus profond et qu’il faut beaucoup plus de pédagogie et d’empathie pour donner beaucoup plus de soi-même pour travailler beaucoup moins sur le problème et beaucoup plus sur la solution du problème.


Le fonds du problème est la misère et l’indigence qui nous décrit en tant que peuple, c’est la surpopulation et la précarité dans les quartiers défavorisés ; c’est le chômage des jeunes qui reçoivent une éducation au rabais et ne trouvent pas assez de débouchés à la fin de leurs études ; c’est la décapitalisation de la classe moyenne provoquée par les effets pervers de la globalisation ; c’est l’absence de leadership éclairé ayant la vision, la compétence, l’intelligence et le courage pour porter et piloter le projet politique, économique et social de refondation de la Nation et de reconstruction du Pays ; Le fonds du problème, c’est l’absence de volonté ou, peut-être, l’incapacité de prendre la décision de faire ce qu’il faut pour nous sortir du trou. En tout cas, nous continuons à creuser !

Ceci étant dit, la priorité pour le prochain gouvernement, c’est un apaisement social assumé, précurseur d’une stabilité durable, en ce sens qu’il lui permettra de se préparer pour s’attaquer aux problèmes structurels et y apporter des solutions durables. Dans cet ordres d’idées et sans être trop limitatif, tu peux, tu dois et tu vas nous aider à dégager des ressources pour adresser la demande sociale des masses urbaines et rurales en attendant l’ouverture des grands chantiers de refondation et de reconstruction, ouvrir le marché des opportunités et rendre plus accessible la participation aux bénéfices garantis par l’accès aux marchés américain, caribéen et européen. Trop de zones de non droit en Haïti !

Mon cher Reginald,
Que peux-tu faire pour nous aider à adresser ce blocage systémique qui distord le marché des opportunités économiques et qui fait que nous n’avons pas de réponses appropriées quand nous sommes attaqués sur les problèmes de fonds, tels : Salaire minimum, vie chère, chômage, etc.

Que peux-tu faire pour faciliter la convocation de vrais États Généraux de la Nation qui permettra de constituer ce Leadership citoyen qui aura montré une claire vision du futur, qui aura reçu mandat de la mettre en œuvre et qui se sera engagé à faire appel aux meilleures compétences, c’est-à-dire, les cerveaux les plus brillants d’entre nous, pour porter et piloter le projet politique de refondation de la Nation et de reconstruction du Pays. Depuis 1986, des secteurs majoritaires de la société revendiquent un projet démocratique dans un État unitaire décentralisé avec des objectifs clairs, un programme d’actions stratégiques validé par le Parlement, des résultats vérifiables, des voies et moyens d’un budget transparent. L’heure est venue de donner une chance à la Nation !


Que peux-tu offrir aux nantis, bénéficiaires du statu quo et spécialistes de la cooptation, pour qu’ils acceptent de contribuer au rétablissement de l’autorité de l’État et ne plus rechigner à la mise en place d’un environnement qui facilite, au lieu d’entraver, le partenariat et l’actionnariat d’entreprises dans le pays ? Comment peux-tu les convaincre de participer, généreusement, à l’effort d’apaisement, chacun suivant sa capacité en contrepartie d’une sécurité de long terme pour leurs biens et leurs investissements ? Mais, dis-moi, qu’est-ce qui empêche, de manière ponctuelle :

1. Que le devenir de Cité Soleil soit pris en charge par les élites industrielles et commerciales qui s’y sont installées depuis des lustres et à qui les jeunes reprochent de les avoir embrigadés, dépouillés et jetés en pâture après les avoir utilisés ?

2. Que les zones rouges de la région métropolitaine soient à la charge de la Caravane du Changement pour se faire pardonner de les avoir abandonnées à leur sort au cours de la première mi-temps du quinquennat ?

3. Que la côte des Arcadins soit à la charge de la coalition Martelly-Youri-Jura-oligarchie locale qui a choisi, délibérément, de pourrir la zone pour défendre leurs intérêts inavouables ?

4. Que le Cap-Haïtien, les Cayes, Gonaïves, St-Marc, la Région des Palmes, Hinche et Mirebalais ne puissent bénéficier des grands travaux d’infrastructures à haute intensité de main-d’œuvre (HIMO) pour relancer les transformations initiées dans les quartiers précaires ?
Tu as montré, dans le passé, que tu étais doté de ressources mentales extraordinaires pour faire face à des situations complexes. Tu t’en es toujours sorti! Si, «Quand les temps sont durs, c’est qu’il est temps pour les durs d’entrer en action», les temps présents réclament une décision de ta part !

J’ai grand espoir que j’ai semé dans la bonne terre et que la moisson ne prendra pas longtemps pour assouvir notre faim de développement et notre soif de modernité. C’est dans cette attente que je te renouvelle mes sympathies et te conjure, Mon cher Reginald et en mémoire de ta très chère sœur, Houda, dont tu pleures encore le départ, de faire maintenant ce que tu n’as peut-être jamais voulu, ou osé, faire : La Paix ! Bien que des fois, elle coûte plus cher que la Guerre !

Georgemain PROPHÈTE
Réseau Citoyen