Moins que 3 000 sièges
disponibles pour une demande de plus de 44 000 ; gagner une place au sein
des onze[1]
entités de l’UEH se livre, pour l’élève fraîchement issu du système classique, comme
un combat de gladiateur déclaré dans une arène académique épouvantable.

Jeudi 22 août 2019 ((rezonodwes.com))– L’année dernière, le Rectorat de l’Université d’Etat d’Haïti (RUEH) a reçu en ligne 60 077 postulants qui attisaient une guerre acharnée pour obtenir une précieuse admission à l’Université d’Etat. Parallèlement, moins de 10 000 places, toutes les facultés comprises, sont à pourvoir par cette entité académique incapable de rassembler ses filles (les facultés) dans un campus universitaire. Ce faible taux d’admission des élèves au sein de l’université envoie le triste signal d’un système inégalitaire qui marginalise et exclue ses enfants et ses jeunes dans les offres de politiques sociales. Comment peut-on espérer l’harmonie, la paix et la sérénité dans une fête quand sur la table seulement 3 plats seraient servis alors que 45 convives affamées y sont présentes ? Le contexte actuel des opportunités d’instruction au niveau supérieur en Haïti est donc vecteur de frustration, de sentiment d’infériorité et de rejet du jeune.

Ce fossé béant entre l’offre quantitative inadéquate et cette demande massive de formation supérieure en Haïti décrit amèrement d’effarantes frustrations sociales, une injustice acerbe et une situation chaotique pour les jeunes et leurs parents, majoritairement impuissants face aux exigences financières des Instituts privés d’Enseignement Supérieur (IES). Déjà incapable de répondre convenablement aux exigences des besoins rudimentaires, se nourrir, se vêtir, se loger, le parent haïtien ou le jeune ayant franchi l’étape classique, ne sait à quel saint se vouer quand il essuie l’échec quasiment évident de rafler un siège à l’UEH.

Le ticket d’entrée à chacune des facultés se gagne au
prix d’énorme sacrifice

Le graphique dépeint
l’acuité de la disparité entre l’offre et la demande de formation supérieure par
entité, notamment pour dix (10) facultés de l’UEH et le Campus Henry Christophe
de Limonade (CHCL).

La lecture de ce tableau
est interdite aux fainéants qui aspirent à fouler le sol enflammant de l’université
d’Etat parsemé d’embuches et de pièges pathogènes. Lorsqu’on sait que certains voraces,
avides de diplômes, déjà admis en deuxième ou troisième année caressent le rêve
égoïste de cumuler des titres académiques, se pointent aussi dans les concours,
quitte à ce que leur formation soit bâclée ; alors à peine si les jeunes
les plus justes détiendront leurs tickets d’entrée à l’UEH, dans cette arène
infernale remplie de soldats de partout, lycées, collèges, écoles
congréganistes, de tous les départements du pays.

Le cas de la Faculté
d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire (FAMV) qui n’abrite qu’une centaine d’étudiants
alors que plus de 3000 y sont inscrits, soit un taux de 3.16%, est susceptible
de dissuader le jeune dans sa velléité de suivre les traces de l’ancien recteur
Henry Vernet. La Faculté de Médecine et de Pharmacie (FMP), qui accueille
environ deux cents (200) pour une demande de plus de 6000, effraie ceux qui envisagent
de porter le blouse et prononcer le serment d’Hippocrate. Pas facile au jeune
de connaître la même alma mater que le docteur Gary Conille.

La Faculté d’Odontologie
et la Faculté des Sciences Humaines s’identifient également dans la catégorie des
entités affichant des taux d’admission inférieurs à 4% pour l’entrée académique
2018-2019.

Et voilà que les résultats
satisfaisants du baccalauréat apportent aussi ses lots d’inquiétudes et de misères.
A la suite de cette étape, l’élève est plongé, avec ses parents, dans un bassin
d’incertitude face à un avenir ombrageux. Dans de si rudes conditions, gagner
une place dans cette compétition déchaînée serait ainsi un miracle. Au cas où
ce miracle ne se produise, cas le plus probant, il reste trois options au jeune :
défendre son billet d’entrée à l’université privée, en République Dominicaine
ou autres si les moyens financiers le permettent. L’alternative la plus simple,
quasiment suicidaire, consiste à s’asseoir à la maison, jouer aux cartes et aux
dominos en attendant un visa pour le Chili, le Brésil, le Canada. Un troisième
choix, nourri de bravoure, de patience, de discipline et d’assiduité, consisterait
à se doter des moyens et de techniques de préparation efficaces pendant une
année, en vue de retourner dans l’arène l’année prochaine. Cette dernière
option n’étant même pas garantie ; car, certains ont joué cette carte,
mais malheureusement continuent de récidiver dans l’échec quasi-évident de
décrocher cette médaille universitaire.

Comment devait être conçu l’accès à l’université ?

Pure formalité pour les élèves
ayant bouclé le Cegep, le High School, plus généralement le niveau secondaire ;
dans les pays industrialisés, l’accès à l’université est une banale option
toujours à la portée du finissant du cycle classique. Politique publique inclusive,
sens de responsabilité sociale et pratique de bonne gouvernance obligent ;
les gouvernants avisés ne sauraient laisser l’avenir et le devenir des enfants,
des jeunes et des citoyens entre les mains de la providence. Toute société inapte
à cerner et combler les besoins fondamentaux de  formation et d’apprentissage pour accroître
son capital humain et se rendre compétitive, est appelée à nager dans la
médiocrité, la pauvreté, la frustration et l’exclusion sociale.

Les réflexions et
préoccupations de Jean Price Mars, vielles d’un siècle, exprimées dans « La
Vocation de l’élite », faisant le plaidoyer pour une société juste, dominée par
un savoir partagé et inclusif, demeurent actuelles. Une nation ne vaut que par
les hommes et les femmes qui y conçoivent et implémentent les politiques socioéconomiques.
Aujourd’hui encore, l’élite est interpelée à se ressaisir en vue de travailler
pour une société égalitaire, souscrite aux principes de compétitivité et de modernité
que seuls  le savoir, le savoir-faire et
le savoir-être peuvent garantir. Jean Price Mars en appelle à notre conscience
pour illuminer les esprits de toutes les classes sociales et actionner les
moteurs de l’acquisition des compétences, afin de libérer le pays des forces
obscures en créant des mouvements d’idées, de pensées, de réflexions,
d’inspirations et d’aspirations.

En référence à la fameuse
œuvre de Maslow, « La pyramide des besoins », une formation
universitaire se positionne au niveau du quatrième échelon, « besoin
d’estime », dans l’échelle des satisfactions humaines. Cette nécessité de d’estime
de soi, de respect de soi et des autres, de reconnaissance et d’appréciation, se
positionne de manière adjacente à celle de «l’accomplissement de soi »,
qui fait appel à la créativité et l’imagination, qui constituent les liquides essentiels
pour huiler et alimenter la machine du développement durable de toute société
moderne.

Si la formation
universitaire n’est pas intégralement accessible ou gratuite dans la plupart
des pays développés, elle est au moins abordable à travers des programmes de prêts
et bourses mis à la disposition des diplômés du cycle secondaire. Après la fin
de l’aventure classique, l’élève est canalisé vers l’université, avec évidemment
des orientations qui s’appuient sur ses habilités, ses intérêts, ses
motivations et ses capacités cognitives. Cependant, peu importe le sexe,
l’origine sociale et le niveau socioéconomique, la porte d’entrée à l’université
est ouverte à l’élève. Principe fondamental en Economie, « il n’existe pas
de repas gratuits », pas que les écoles sont entièrement gratuites, mais
des offres de prêts et de crédits scolaires font de la coopération entre l’Etat
et ses fils, un jeu gagnant-gagnant. Ces boursiers étant assujettis à des
protocoles et des modalités de remboursements suivant des échéanciers bien
définis lorsqu’ils décrochent leurs visas pour intégrer le marché du travail.

Si l’obtention de la clé
de la formation supérieure est, pour la progéniture du pays organisé, une
simple formalité ;  pour la majorité
de nos jeunes Haïtiens, l’accès à l’université consiste à chercher une aiguille
dans une botte de foin. En plus que l’offre quantitative ne répond pas à cette
demande vertigineuse, la qualité de la formation offerte à l’université
haïtienne est inadaptée et ne permet non plus de satisfaire les exigences du
marché et de la recherche scientifique au standard international. Des
programmes de formation bien conçus auraient pourtant facilité les jeunes
diplômés du système universitaire ou professionnel à décrocher des contrats
avec des compagnies internationales, dans le cadre de l’approche
d’externalisation des services BPO ou ITO.  

Des dizaines de campus universitaires auraient pu être
construits par l’Etat

La précarité des
infrastructures, des structures et des superstructures dévolues à la pensée
critique, la réflexion et la recherche au niveau tertiaire dépeint le
désintérêt, voire une absence criante de l’Etat et des organismes
internationaux dans la formation des cerveaux Haïtiens. Lorsqu’on sait qu’un
campus universitaire ne coûte pas une monstre fortune pour l’Etat, on comprend
que le délabrement d’une certaine université d’Etat avec des entités, dépourvues
de l’essentiel, éparpillées dans de restreintes surfaces éparses de la
Capitale, participe d’un complexe d’auto flagellation d’un Etat qui a failli à
sa noble mission de renforcer ses structures académiques et sociales, consolider
et renouveler les ressources vitales du pays.

L’année dernière, comme à
l’accoutumé, un modique crédit budgétaire de 1.8 milliard de gourdes, soit une
infime part de 1% du budget national a été allouée à cette entité étatique qui détient
la noble mission de former et d’assurer le renouvellement des élites. Facile de
comprendre pourquoi alors l’université ne peut jamais s’acquitter
convenablement de ses missions de recherche et de formation des cadres,
initiatives qui nécessitent des budgets consistants.

Avec si peu d’incitation,
les cadres de l’université, notamment les professeurs, même ceux désignés à
plein temps, sont comme des passagers clandestins, des vendeurs de cours, sans
vision, sans esprit d’appartenance, sans motivation pour encadrer les étudiants
dans leurs thèses et pour alimenter les réflexions dynamiques et les recherches
scientifiques.

L’expérience provocatrice
post-séisme, en 2012, de l’érection d’un campus universitaire moderne à
Limonade[2], au modeste coût de 30
millions de dollars, offert par la République Dominicaine, justifie que notre
pays fonctionne sans aucun sens de dignité et sans un plan de formation et d’intégration
des forces vives dans les affaires du pays.

Parallèlement, le viaduc
de Delmas-Nazon, qualifié à juste titre par la population de Carwash, a été surfacturé
à 23.3 millions[3]
de dollars ; 67.5 millions de dollars sont évaporés dans le programme
bidon EDE-PEP, jugé par la Cour des Comptes d’un vaste gaspillage des fonds
publics. Quarante-trois (43) millions de dollars destinés, entre autres, à des
projets d’hébergement et d’habitat, ont été alloués à l’UCLBP, responsable de
la construction des logements sociaux Lumane Casimir, à  Morne à Cabrit. Une
gestion frauduleuse et calamiteuse d’un enfant prodigue issu du sang présidentiel
indécent a été faite des 27.8 millions de dollars affectés au projet de
réhabilitation des infrastructures sportives.

 Le cumul de ces montants dilapidés se solde en
une somme faramineuse extraite du trésor public en dehors des principes
basiques de l’efficience, de l’efficacité et de la transparence dans
l’exécution des projets publics. Pourtant une dizaine de campus au standard de l’édifice
offert par la République Dominicaine, auraient coûté seulement 300 millions de
dollars américains, moins que 8 % de la somme engrangée de la coopération
Petrocaribe. Cette dernière remarque ne vise pas à  soutenir un plaidoyer
pour que les fonds destinés à des projets sociaux soient détournés vers la
construction et la consolidation de campus universitaires ; mais, elle voudrait,
à titre comparatif, y jeter une certaine lumière sur l’opportunité des dépenses
publiques.

La prolifération des OI et des ONG en Haïti, sans
avantages conséquents pour l’université

La carence des
coopérations avec les organisations internationales et le mépris pour cette
source pourvoyeuse de cadres et de professionnels aux différentes entités socioéconomiques
du pays, témoignent également une volonté manifeste de certains partenaires et
acteurs de l’international à reléguer au dernier rang le rehaussement et la
démocratisation de la formation professionnelle et universitaire au sein du
pays.

Des centaines de millions
de dollars des OI sont dissipés, volés et volatilisés en fumée dans des unités
d’exécutions (UE) bidon, au service de la gabegie, de l’inefficience et de la
corruption avec des clans et des petits copains d’ici et d’ailleurs. Des
millions de dollars sont gaspillés par les ONG œuvrant dans tous les domaines,
notamment dans les secteurs de l’éducation. Des milliards de dollars sont empochés
dans l’opacité par un régime prédateur qui a généré dans son entourage, des multimillionnaires
ne déployant aucun effort pertinent. Une rétrospection de neuf (9) ans, pour se
positionner au lendemain du séisme, présente avec un brillant éclat les erreurs
graves que nos mauvais dirigeants ont accouchées dans le cadre de la gestion de
la CIRH et de toutes les coopérations qui s’étaient présentées, suite au séisme
du 12 janvier 2010. Coopérations bilatérales, tripartites, multilatérales,
dons, prêts, les offres financières et techniques épuisaient les vocabulaires
du jargon de l’aide étrangère. Mais, en vertu d’un problème de coordination
cinglant émanant du manque de leadership de notre Etat faible qui ne pouvait
jouer ses fonctions régaliennes couplé des intérêts mesquins inavoués d’un
ensemble d’organisations sans de véritables agendas de développement du pays,
l’aide étrangère n’avait pas produit des résultats soutenables, au profit des
générations présentes et futures.

Avec une simple vision et
une vigilance sur les fonds promis par les OI et les ONG, des dizaines de
campus universitaires auraient pu être construits ; avec des moyens
d’entretien et de fonctionnement substantiels pour pérenniser le savoir et la
compétence, épines dorsales des positionnements stratégiques et de la
compétitivité et de la pérennité de tout système. Cette dynamique augmenterait
de manière substantielle le nombre de sièges à l’université et, ipso facto,
diminuer les frustrations et les exclusions sociales.

Assurer l’émancipation et l’épanouissement des enfants et
des jeunes est une vocation de l’élite

Tel que consigné dans les
contrats de prêts et bourses, à sa période d’inactivité professionnelle, l’élève
est encadré par l’Etat pour poursuivre ses études universitaires. Quand il est à
même de rentabiliser ses investissements éducatifs, il va rembourser ses dettes
à la société, selon un agenda défini entre les deux parties. Ces modes de vie décents
et inclusifs, supportés par des institutions caritatives et philanthropiques,
sont possibles parce que les citoyens savent élire des dirigeants capables de
dresser des plans de salut pour leurs populations. De tels élus, guidés par la
lumière et le sens de discernement, sauront identifier et designer les cadres et
les experts compétents dans divers secteurs pour assurer la bonne marche des
institutions et donc créer des conditions favorables à la création de la
richesse.

Les sénateurs, les députés,
les ministres des pays modernes font passer le bien-être collectif avant leurs
intérêts mesquins qui consisteraient à amasser des biens périssables et pérenniser
leurs nobles positions dans des bulles officielles ad vitam aeternam. De gré de
conscience ou de force institutionnelle, ces dirigeants éclairés ne sont pas animés
par l’enrichissement illicite car les systèmes dont ils sont issus ne se
laissent pas engloutir par l’impunité. Que vous soyez ministres, premiers ministres
ou présidents, si vous ne respectez pas les principes de fonctionnement de la société,
si vous violez les règles de la cité, si vous volez, fraudez ou dilapidez, vous
allez vous terminer vos courses de cupidité et d’indécence derrière les
barreaux.

Comment Haïti peut-elle espérer
renaître de ses cendres, concevoir des plans de formation académique et
professionnelle concurrentiels quand la plupart de ses dirigeants sont des
cupides, des incompétents, des indignes et des incapables qui ignorent la
Maïeutique Socratique et qui ne peuvent distinguer les chiffres des lettres.
Par quel miracle espère-t-on sortir de ce gouffre, cette méfiance, ce tohubohu
et ce marasme économique quand ceux et celles qui détiennent les clés de la
porte de salut du pays pour le mener au bon port sont indexés et décriés dans
de graves malversations de corruption, de prévarication et de banditisme de
toutes sortes.

Les sociétés modernes préconisent,
de manière pragmatique, des conditions de vie décente, un minimum vital pour
les habitants. Les législateurs de telles sociétés jouent leurs rôles de vigie
et d’éclaireur avec classe et dignité pour faire fonctionner les moteurs de
croissance et de promotion des vertus et des valeurs. Pour passer de ce
désastre sociétal, de cette asthénie et ce rachitisme économique séculaire,
Haïti doit cesser de jouer avec les positions stratégiques comme des enfants du
Kindergarten avec des puzzles, des crayons et des bristols.

Pour changer ce décor de majigridis
et de graffitis funestes en vue de visualiser des tableaux reluisants et
lumineux ; alors, la décence, la probité, la compétence et la dignité
doivent prendre la main.

Carly Dollincarlydollin@gmail.com


[1] Onze facultés fonctionnement directement
sous la tutelle du Rectorat de l’UEH. Mais, environ une dizaine d’entités
publiques supplémentaires telles que le CTPEA, l’ENI, les facultés de Droit et
d’Economie des provinces, sont affiliées à l’Université d’Etat d’Haïti.

[2] https://www.haitilibre.com/article-4699-haiti-education-inauguration-de-l-universite-roi-henri-christophe.html

[3] https://haitieconomie.com/wp-content/uploads/2019/06/Haiti-Deuxieme-Rapport-de-la-Cour-Superieure-des-Comptes-sur-la-Gestion-des-Fonds-Petrocaribe-corrig%C3%A9.pdf