Dans un pays où l’écrit peine à s’imposer face au vacarme du quotidien, la publication du Cahier de mon vécu de l’ancien candidat à la députation Jose Davilmar vient rompre un silence pesant. Cet ouvrage, né d’une introspection lucide et d’un parcours politique accidenté, ne se veut ni réquisitoire ni mémoires à scandale. Il est plutôt une tentative de compréhension, un regard porté sur AYITI de l’intérieur, par un citoyen qui, après avoir côtoyé les centres de pouvoir, choisit de raconter ce qu’il a vu, entendu, et surtout ressenti.
Ce n’est pas la première fois que Davilmar prend la plume. Dans un précédent livre, La saga haïtienne à la loupe d’un candidat, il avait relaté son expérience électorale dans la circonscription de Borgne lors des législatives de 2015. Un récit sans amertume, mais déjà empreint d’une volonté de participer activement à la reconstruction du pays. Mais, avec le recul et de nouvelles expériences accumulées dans les arcanes du pouvoir – notamment au Palais National, à l’Électricité d’Haïti (EDH), et à la Commission Nationale pour l’Innovation et l’Intégration des Jeunes , l’auteur reconnaît lui-même avoir sous-estimé la profondeur des maux haïtiens.
Ce Cahier, loin d’un bilan administratif, s’apparente davantage à un journal de bord critique. Il dresse le portrait d’un pays rongé par les inégalités sociales, où les élites et l’État se confondent souvent, au détriment de l’intérêt général. Davilmar y observe une société fragmentée, désarmée, où la misère matérielle est aggravée par une pauvreté intellectuelle profonde. L’un des constats les plus amers du livre demeure la place marginale accordée à la réflexion, à l’histoire, et à l’écrit, dans un pays pourtant fondé sur un acte révolutionnaire unique au monde.
L’auteur pointe du doigt un déficit d’introspection collective. Trop de faits politiques majeurs restent sans explication. De Toussaint Louverture à PetroCaribe, en passant par les procès oubliés de l’histoire et les fortunes mystérieusement envolées, l’opacité règne. Davilmar ne prétend pas apporter toutes les réponses, mais il entend au moins poser les bonnes questions.
L’un des fils rouges de l’ouvrage est l’interpellation constante d’une jeunesse désorientée. L’auteur observe, non sans inquiétude, la domination du ludisme, la fuite dans les réseaux sociaux, le désintérêt pour les livres et la pensée critique. La révolution numérique, qui aurait pu être une chance pour Haïti, devient un piège silencieux. Une génération entière risque de s’installer dans une forme de passivité décorée, où les apparences numériques remplacent les engagements réels.
Ce livre est un appel, peut-être désespéré, mais sincère à la prise de conscience. Un appel lancé non du haut d’une chaire intellectuelle, mais du terrain même de l’expérience, là où se croisent désillusions, résistances et bribes d’espoir.
Certains passages évoquent la prudence. Des noms sont tus, des faits partiellement racontés, car l’ombre du pouvoir plane encore sur certaines vérités. Mais l’essentiel est ailleurs : dans cette volonté de parler, de livrer un témoignage authentique à contre-courant de l’indifférence générale. Refusant le confort du silence ou la complicité passive, Davilmar rejoint à sa manière Frantz Fanon, pour qui la dignité humaine commence dans l’engagement pour la justice.
Le Cahier de mon vécu s’offre donc comme une tentative de lucidité dans un paysage saturé d’opinions rapides et de demi-vérités. Il ne revendique ni neutralité absolue, ni objectivité froide. Il revendique au contraire l’engagement celui de ne pas tourner le dos à un pays qui vacille, mais de l’interroger, de l’aimer autrement, et d’oser encore y croire.
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