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 »Toutes  ces expressions  d’autoritarisme  et  de  l’arbitraire  surviennent  à  un  moment  où  le  débat  fait  rage autour de la fin du mandat du Président de la République, conformément à l’article 134.2 de la Constitution évoquée le 13 janvier 2020 par le Chef de l’État lui-même, pour constater, selon ses dires, la caducité du Parlement », s’indigne l’ANMH

Lundi 25 janvier 2021 ((rezonodwes.com))–

NOTE DE CONJONCTURE

L’Association Nationale des Médias Haïtiens constate avec grande inquiétude une situation  de  délitement  de  la  démocratie  construite  patiemment  par  le  peuple haïtien à coups de sacrifices pendant ces trente-cinq dernières années.

Les  signaux  sont  clairs,  un  train  de  répression  est  lancé  et  désormais,  c’est  sans aucun discernement que la police tire sur les citoyens sans aucune considération pour  leur  statut.  Au  cours  des  dernières  manifestations,  le  journaliste  Réginald Rémy de Radio Caraïbes, clairement identifié a reçu trois balles d’une patrouille de police    alors    qu’il    exerçait    sa    profession    en    accord    avec    les    garanties constitutionnelles quant à la liberté de la presse et la liberté d’expression.

D’autres reporters, Destiné Alvales de ALTV, Reynald Petit-Frère de Signal FM ont été l’objet d’agression   dans   l’exercice   de   leur   fonction.   L’ANMH   dénonce   ces   attaques caractérisées    contre    la    presse    et    exige    que    la    police    et    les    autorités gouvernementales  respectent  la  liberté  de  la  presse  d’informer  et  d’exercer  ses prérogatives en toute sécurité et en toute liberté, sans préjudice des poursuites que les victimes et les médias doivent entreprendre contre les prédateurs de la liberté de la presse.

De  paisibles  manifestants  réunis  dans  un  sit-in  devant  le  bureau  du  Premier  ministre  sont dispersés arbitrairement à coups de gaz lacrymogène. C’était le cas déjà en plusieurs occasions, l’année dernière, lors de manifestations pacifiques de citoyennes et de citoyens qui réclamaient le droit à la vie avec des banderoles et des pancartes devant le Ministère de la Justice.

Le droit de manifester est devenu une entreprise risquée à cause d’un usage abusif par la police de gaz lacrymogène, de tirs à balles en caoutchouc et à balles réelles, faisant de nombreuses victimes un peu partout dans le pays.

Depuis le 13 janvier 2020, alors qu’aucun processus électoral n’a été lancé conformément aux échéances  constitutionnelles,  le  Président  de  la  République,  évoquant  l’article  134-2  de  la Constitution amendée, déclarait constater la fin du mandat des Députés et de 2/3 des Sénateurs. Dès lors, le Chef de l’État, dans maintes déclarations, exprimait clairement sa satisfaction d’être désormais celui qui légifère sans être gêné par aucun autre pouvoir.

L’équilibre des pouvoirs consacré par la Constitution est rompu. Le pouvoir législatif est mis hors- jeu, et le pouvoir judiciaire est de plus en plus domestiqué. Les Commissaires du gouvernement, en maintes occasions, ont montré qu’ils sont des instruments aux mains de l’Exécutif. Pendant ce  temps,  les  Juges faisant  montre  de  velléités d’indépendance  dans l’instruction  de  dossiers sensibles, sont menacés et mis en fuite. D’autres dont le mandat a expiré sont dans l’incertitude de leur renouvellement ou pas.

Pendant ce temps, les citoyennes et citoyens ont la désagréable sensation d’être abandonnés par l’État incapable de garantir la sécurité des rues, des familles et la libre circulation des biens et des personnes sur nos routes nationales. Les bandits occupent le vide laissé par les pouvoirs publics et les forces de sécurité, tandis qu’une florissante industrie du kidnapping appauvrit les familles dont nous connaissons déjà la grande vulnérabilité.

C’est  dans  ce  contexte  délétère  que  le  Président  de  la  République  se  projette  comme  un personnage autoritaire non conforme à la vision de la Constitution de 1987 qui limite les pouvoirs du Chef de l’Exécutif. L’article 150 de la Constitution dispose: «Le Président de la République n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribue la Constitution.» Mais le Président Jovenel Moïse qui n’a pas agi pour garantir la continuité de l’État et la permanence de l’État selon le vœu de l’article 136 de la Constitution de 1987, s’est approprié illégalement l’autorité législative en prenant un ensemble de Décrets et de décisions qui conduisent notre pays sur des pistes dangereuses, où le pouvoir est exercé de manière autoritaire et suivant la seule volonté du Chef de l’État, en marge du cadre démocratique tracé par notre Loi-Mère. Notre pays aujourd’hui est sorti de la voie de l’État de droit et semble vouloir retourner sur les sentiers battus de la dictature dont nous en avons fait l’amère expérience sur longue durée et dont nous avons connu les conséquences en termes de privation des droits et libertés.

La formation d’un Conseil Électoral Provisoire en dehors de la recherche habituelle de consensus; le projet de changement de la Constitution dans la plus totale division de l’opinion publique; le projet de referendum sur la nouvelle Constitution, en violation parfaite de l’article 284.3 de la Constitution de 1987, non réputée en veilleuse, sont autant d’initiatives d’un pouvoir qui fait une totale abstraction de l’existence du corps social haïtien.

L’arrestation  sans  aucun  motif  ce  21  janvier  2021  à  Miragoâne  du  Sénateur  Nènèl  Cassy  et d’autres  militants  politiques  par  le  Commissaire  du  Gouvernement  de  cette  juridiction,  les déclarations  incendiaires  du  même  personnage  précédant  ces  arrestations  arbitraires,  sont autant  de  mauvais  signaux  en  provenance  d’un  pouvoir  absolu  en  mal  d’excès.  Toutes  ces expressions  d’autoritarisme  et  de  l’arbitraire  surviennent  à  un  moment  où  le  débat  fait  rage autour de la fin du mandat du Président de la République, conformément à l’article 134.2 de la Constitution évoquée le 13 janvier 2020 par le Chef de l’État lui-même, pour constater, selon ses dires, la caducité du Parlement.

L’ANMH est préoccupée par le climat de confrontation en cours et croit que le fondement de la loi réside dans le principe de l’égalité des citoyens comme le prescrit la Constitution haïtienne en son article 18 et la Déclaration Universelle des droits de l’Homme. Aucun citoyen, aucun membre des trois pouvoirs de l’État ne bénéficie d’un régime d’exception, le plaçant en cela, au-dessus de la loi.

L’Association  Nationale  des  Médias  Haïtiens  rappelle  quelques  points  du  préambule  de  la Constitution  de  1987  proclamée:  «…Pour  implanter  la  démocratie  qui  implique  le  pluralisme idéologique et l’alternance politique et affirmer les droits inaliénables du peuple haïtien…Pour assurer la séparation et la répartition harmonieuse des pouvoirs de l’État au service des intérêts fondamentaux et prioritaires de la Nation….Pour instaurer un régime gouvernemental basé sur les libertés fondamentales et le respect des droits humains, la paix sociale, l’équité économique, la concertation et la participation de toute la population aux grandes décisions engageant la vie nationale, par une décentralisation effective.»

L’actuelle conjoncture politique nous éloigne chaque jour  de  ces objectifs et  des  acquis de  la Constitution. L’ANMH en appelle à ceux qui ont prêté serment sur la Constitution de la respecter et de la défendre et de la faire respecter comme ils s’y étaient engagés avant d’entrer en fonction. Le Président de la République doit mettre notre pays au-dessus de tout intérêt personnel pour prendre  les  bonnes  décisions  et  se  conformer  à  son  statut  de  garant  de  la  Constitution.

L’Association Nationale des Médias Haïtiens (ANMH) en appelle aux forces vives de la nation et à ses institutions pour qu’elles s’érigent en gardiennes des valeurs démocratiques, pour éviter à notre pays de faire de nouvelles expériences déchirantes et dramatiques.

Jacques Sampeur
Président ANMH

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