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La mémoire de Marcus Garvey ne se limite pas au passé : elle est plus que jamais d’actualité. Depuis l’élection de Barack Obama, le premier président noir des États-Unis, le pays a connu une réaction violente des suprémacistes blancs, incapables de digérer qu’un Afro-Américain ait dirigé la nation. Le racisme s’est ravivé avec une intensité inquiétante et la question raciale est redevenue centrale dans la société et la politique américaines.

Il est malheureux de devoir rappeler que Black Lives Matter. C’est une vérité qui ne devrait même pas avoir à être dite. Pourtant, après la mort de George Floyd et de tant d’autres victimes de brutalités policières, il a fallu la clamer, alors que des milices blanches surgissent de partout et que le Ku Klux Klan reprend vigueur.

Cette année, la commémoration revêt un éclat particulier. Le 19 janvier 2025, à la veille de quitter la Maison-Blanche, Joe Biden a accordé, in extremis, une grâce posthume à Marcus Garvey. Ce geste hautement symbolique efface, du moins officiellement, la condamnation injuste dont il fut victime dans les années 1920, un procès nourri par le racisme et la crainte de voir un Noir soulever les foules. Au-delà de la réhabilitation judiciaire, cet acte nous invite à relire l’histoire des luttes noires avec une exigence renouvelée : la quête intransigeante de souveraineté.

Aujourd’hui, il est urgent de relancer le combat à travers de nouvelles figures, héritières de Jean-Jacques Dessalines, de Marcus Garvey et de Martin Luther King, car la lutte pour les droits civiques est devenue une question de survie existentielle pour les Noirs. C’est dans cette perspective que la célébration du 17 août, journée internationale de Marcus Garvey, prend tout son sens : elle est un appel à la fierté, à l’unité et à l’action.

Dessalines, un précurseur

Jean-Jacques Dessalines est le seul de tous les dirigeants haïtiens à avoir regardé l’homme blanc d’égal à égal. Jamais il ne fut aliéné par la culture européenne, ni séduit par ses modèles éducatifs ou ses manières. Chez lui, aucune trace de fascination pour le monde colonial.

À l’inverse, les autres héros de l’indépendance ont maintenu des liens culturels ou symboliques avec l’ancienne métropole. Toussaint Louverture envoya ses fils Placide et Isaac en France pour y recevoir une éducation française modelée par l’élite blanche. Henri Christophe, entre le 10 et le 12 octobre 1802, soit deux ou trois jours avant la défection des officiers indigènes le 14 octobre, remit lui aussi son fils Ferdinand au général Boudet pour être éduqué en France. Devenu roi, Christophe, passionné par le système éducatif britannique, voulut le propager dans son royaume.

Rien de tel chez Dessalines. L’homme est Africain, profondément et farouchement. Il ne se contente pas d’avoir arraché l’indépendance et la liberté : il incarne une identité noire assumée, sans compromis ni complexe. Dessalines, c’est la négritude avant le mot, la fierté africaine avant la théorie. En cela, il préfigure Marcus Garvey — un Garvey avant la lettre —, affirmant par sa posture et ses décisions que l’émancipation ne se négocie pas et que l’égalité ne se mendie pas.

On imagine difficilement Dessalines accepter, même au nom de la raison d’État ou du réalisme politique, de discuter avec la France pour indemniser les anciens colons esclavagistes, comme le fit Alexandre Pétion. On le voit encore moins engager des négociations de reconnaissance avec l’ancienne métropole, comme le fit Jean-Pierre Boyer, hypothéquant l’avenir de la jeune nation avec cette dette colossale.

Pour Dessalines, la liberté ne tolère aucune demi-mesure. Briser les chaînes signifiait couper tous les liens, visibles ou invisibles, qui pouvaient ramener le peuple noir sous tutelle. C’est cette intransigeance que Garvey, un siècle plus tard, portera à l’échelle planétaire.

Garvey, héritier spirituel

En 1914, Garvey fonde l’UNIA, qui deviendra le plus vaste mouvement panafricain de son temps, rassemblant des millions de membres et de sympathisants sur plusieurs continents. Il crée la Black Star Line, compagnie maritime destinée à relier la diaspora à l’Afrique, et publie le Negro World, tribune mondiale de la fierté noire.

Son drapeau rouge, noir et vert, adopté en 1920, devient l’emblème universel de l’unité africaine : rouge pour le sang versé, noir pour le peuple, vert pour les terres cultivées. Comme Dessalines, Garvey croit qu’aucune émancipation réelle n’est possible sans autonomie politique, émancipation économique, contrôle des ressources et confiance en sa propre culture.

17 août : se souvenir pour agir

Depuis 2012, la Jamaïque a institué le « Marcus Garvey Day », mais cette date appartient au monde entier. Elle nous rappelle que l’esclavage physique a pu être aboli, mais que l’esclavage mental, lui, exige un combat quotidien. Garvey l’exprimait ainsi : « We are going to emancipate ourselves from mental slavery… »

Dessalines et Garvey, chacun dans son siècle, portent la même conviction : le peuple noir doit être maître de son destin. En les célébrant ensemble ce 17 août, on ne se contente pas d’honorer des figures du passé : on adopte une feuille de route pour l’avenir : se souvenir pour agir, honorer pour imiter.

Et si le destin a voulu que deux dates-clés de notre mémoire tombent un 17, alors que l’on salue Garvey en ce 17 août, préparons déjà nos cœurs et nos esprits pour le 17 octobre, jour où nous commémorons l’assassinat de Dessalines. Deux 17, un fil d’Ariane à suivre, un flambeau allumé de résistance et de fierté noires à transmettre.

Michel Legros

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