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Depuis la publication très médiatisée du rapport de l’organisation Ensemble Contre la Corruption (ECC) mettant en cause le Ministère de la Jeunesse, des Sports et de l’Action Civique (MJSAC), l’espace public haïtien est en ébullition. Accusations de mauvaise gestion, allégations de corruption, dénonciations publiques : le document a alimenté une vague de critiques virulentes. Pourtant, à y regarder de plus près, ce rapport censé promouvoir la transparence semble lui-même entaché de nombreuses irrégularités et lacunes méthodologiques.

L’une des critiques majeures à l’égard du rapport de l’ECC concerne l’absence totale de transparence sur la méthode d’enquête utilisée. Aucun protocole méthodologique n’est exposé : pas de sources identifiées, pas de processus de vérification, pas de critères clairs de sélection des données. En lieu et place d’un rapport rigoureux, le lecteur se retrouve face à un récit orienté, rédigé sur un ton accusatoire, sans la moindre garantie de rigueur scientifique ou juridique.

Plus inquiétant encore : les personnes mises en cause ne sont ni identifiées ni entendues, et aucune n’a été invitée à fournir des explications ou des justificatifs. Or, le principe du contradictoire est un fondement du droit administratif et du procès équitable, reconnu tant par les standards internationaux que par les principes élémentaires de justice. L’unilatéralité de l’approche de l’ECC ôte ainsi toute valeur probante aux accusations formulées.

Le rapport multiplie les affirmations non étayées, s’appuyant sur des témoignages anonymes ou des interprétations floues, sans documents officiels à l’appui. Aucune pièce comptable, aucun acte administratif, ni même une simple annexe explicative n’accompagne les constats avancés. Pire : certaines erreurs démontrent une méconnaissance du droit administratif haïtien. L’exemple des paiements prétendument effectués sans la validation des instances compétentes est particulièrement révélateur, alors que le décret du 17 mai 2005 sur la comptabilité publique rend ce type d’irrégularité pratiquement impossible, en raison de la chaîne obligatoire de validation impliquant l’ordonnateur, le contrôleur financier, et le comptable.

Une autre faille majeure du rapport réside dans l’amalgame constant entre décisions politiques et actes de gestion. En critiquant des choix stratégiques comme s’il s’agissait d’irrégularités administratives, l’ECC nie les prérogatives constitutionnelles d’un ministre, autorité politique avant tout. Une telle confusion relève d’une lecture biaisée du fonctionnement de l’État et nuit à l’intelligence du débat démocratique.

Le rapport reproche aussi au ministère l’absence de certaines pièces justificatives, sans prendre en compte les délais légaux de régularisation prévus par la loi, parfois jusqu’à 60 jours. De plus, aucune autorité compétente (telle que la Cour des Comptes, l’IGF ou l’ULCC) n’a été associée à la démarche. Ce manque de supervision indépendante constitue une entorse grave aux principes de bonne gouvernance.

L’un des passages les plus problématiques du rapport concerne le Programme d’Appui à la Société des Jeunes pour la Paix et la Sécurité (PASOJEPS). L’ECC évoque 600 bénéficiaires, alors que les données officielles du MJSAC font état d’une cohorte unique de 300 jeunes formés à l’École de la Magistrature entre le 22 et le 24 juillet 2024. Tous ont perçu un montant uniforme de 53 250 gourdes, contrairement aux chiffres variables évoqués par le rapport.

Le rapport cite également le cas d’un certain Besner JULIEN, présenté comme victime d’extorsion. Mais aucun élément concret ne vient étayer cette accusation : pas de preuve, pas de plainte enregistrée, pas de procédure engagée. En l’absence de signalement formel ou de saisine des autorités compétentes, cette affirmation reste une suspicion non étayée, sans valeur juridique.

Dans sa forme même, le rapport souffre d’un ton accusatoire et émotionnel, manquant de la retenue attendue d’un travail sérieux d’observation. Le style, les généralisations, et l’absence de références légales affaiblissent la portée du document et remettent en cause sa prétendue vocation citoyenne.

Si la lutte contre la corruption reste un impératif démocratique, elle ne saurait se faire au mépris du droit, de l’éthique et des procédures. Accuser sans preuve, juger sans audition, et dénoncer sans fondement revient à fragiliser non seulement la présomption d’innocence, mais aussi la légitimité des institutions. Pour que la reddition de comptes devienne un levier de gouvernance et non un outil de déstabilisation, il est urgent de rétablir des pratiques fondées sur la méthode, le droit et l’équité.

« Une gouvernance transparente ne peut se bâtir sur des raccourcis procéduraux ou des dérives accusatoires. Elle exige rigueur, responsabilité et respect des droits », conclut un expert en droit public haïtien interrogé par notre rédaction.

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