par Jean-Olthene Tanisma *

Mercredi 31 juillet 2019 ((rezonodwes.com))– Depuis environ un demi-siècle, Haïti n’a pas changé. La corruption, la collusion, le népotisme, les crises politiques et socio-économiques complexes, l’appauvrissement des classes défavorisées, la dégradation vertigineuse de l’environnement constituent, entre autres, quelques-uns des gangrènes qui rongent toujours cette nation.

Aujourd’hui, la criminalité gratuite issue de la promiscuité de quelques secteurs socio-politiques s’est ajoutée quotidiennement à ces maux pour asséner le coup de grâce alors que la majorité des auteurs courent toujours et nul procès digne de ces crimes n’a encore secoué les assises des tribunaux!

La dilapidation des fonds PetroCaribe par les 3 derniers gouvernements, détaillée dans 2 rapports dévastateurs de la CSC/CA, notamment après le séisme apocalyptique de janvier 2010, représente ces derniers temps une onde de choc qui parcourt avec fracas l’ensemble du territoire national ainsi que la scène internationale.

Force est de le constater, le pays agonise lentement mais sûrement. Nous sommes perçus par toute la planète comme l’une des nations les plus corrompues et la plus résistante au développement humain. Quelle honte, quelle déchéance après avoir réalisé l’épopée de 1804!

La majorité des médias locaux et étrangers ainsi que les observateurs objectifs reconnaissent sans le dire ouvertement que le pays est au bord du gouffre.

Si rien n’est fait, il sera englouti en dépit des sursauts sporadiques de quelques diplomates étrangers qui y mènent leurs croisades tantôt personnelles, tantôt évangéliques, tantôt politiciennes sous le couvert d’un certain humanisme comportant parfois quelques relents de condescendance.

Malgré la fébrilité étourdissante affichée par les autorités gouvernementales successives et les agences étrangères à simuler des projets-bidons et à élaborer des programmes à la pièce, le pays continue de s’enliser inéluctablement.

Les grands bailleurs internationaux sont bien au courant de cette situation cruciale mais ils continuent d’y déverser des dizaines de millions de dollars régulièrement sachant bien que leurs capitaux ne seront utilisés que partiellement aux fins sollicitées par nos gouvernants. Ils ont pris le parti, hélas, d’augmenter de nouveau notre dette, laquelle s’accroît de manière exponentielle au rythme des catastrophes naturelles et des incohérences politiques des différents gouvernements.

LA RÉPUBLIQUE CENTRALISÉE EST UN FIASCO !

Au lendemain du départ de Baby Doc en 1986, traumatisés par quasiment 50 années de dictature, des constitutionnalistes, des membres de la société civile et des élus haïtiens, supportés par des experts étrangers, ont voulu à bon escient offrir au pays une ouverture vers la démocratie en promulguant la constitution de 1987.

L’idée fut en soi excellente. Mais, très vite, on a compris que cette marche vers un état de droit opérationnel, équitable et performant s’avère utopique. Cette constitution calquée sur le modèle de la France notamment, ne pourra jamais s’adapter aux réalités géographiques, politiques, environnementales et sociales du pays au 21è. s.

Jusqu’ici, force est de le constater, elle a surtout généré des conflits entre tous les acteurs politiques de l’échiquier national. Elle a créé des chevauchements de pouvoir, des instances dysfonctionnelles, des juridictions fantômes qui n’ont absolument aucun poids socio-économique et politique, un système électoral poreux, de nombreux ministères publics centralisés à la fois budgétivores et inefficaces, un appareil de justice d’une lourdeur incommensurable qui facilite et engendre toutes sortes de promiscuité.

Telles sont quelques-unes des inextricables conséquences de cette constitution dont l’état haïtien et ses observateurs étrangers tentent en vain de colmater les brèches depuis environ une douzaine d’années. Rien ne va plus pour Haïti, l’exjoyau des Antilles!

Aujourd’hui, les questions essentielles qu’il convient de se poser sont les suivantes :

Est-ce que le modèle de gouvernance de la République d’Haïti actuellement s’avère apte à favoriser l’essor socioéconomique et politique du pays et de ses grandes régions? Et, subsidiairement, n’encourage-t-il pas davantage la corruption, le népotisme, le gaspillage, l’impunité, l’injustice tout en favorisant l’imposante présence internationale à travers ses forces militaires et les ONG ?

Finalement, quel serait, suite aux échecs récurrents des gouvernements depuis le début du 20 ème siècle, le meilleur modèle de gouvernance pour ce territoire de 27 750 Km2 comportant de profondes disparités régionales tant au niveau des ressources naturelles, des particularités micro-climatiques qu’au chapitre des infrastructures, des équipements publics et du sentiment d’appartenance régionale?

L’ ISSUE DE SECOURS: UNE FÉDÉRATION RÉGIONALISÉE

L’hypothèse d’une décentralisation politique qui a été souvent évoquée timidement, parfois incomplète par certains observateurs de la diaspora et de l’intérieur, s’avère aujourd’hui la seule option incontournable pour propulser Haïti vers un avenir plus serein et sans aucun doute mieux adapté à ses réalités socio-politiques, économiques géographiques et environnementales.

Pour rompre définitivement ce cercle vicieux qu’est la concentration du pouvoir entre les mains du président et du premier ministre à Port-au-prince, comme l’actuelle constitution l’exige, il faut absolument décentraliser des responsabilités politiques, administratives et juridiques particulières aux grandes régions du pays. Cette initiative cruciale permettra d’emblée de diminuer substantiellement la force d’attraction qu’exercent, tel un pôle magnétique, la présidence et la Primature ( à Port-au-Prince) sur le reste du pays, en particulier sur les élus régionaux qui ne voient leur salut, leur raison d’être et leur utilité qu’à travers des postes ministériels autour du gouvernement central !

Au cours des 10 dernières années notamment, de nombreux d’entre eux ont abandonné leur serment d’allégeance et leurs responsabilités statutaires envers leurs régions pour se mettre au service du pouvoir port-au-princien.

Ces revirements idéologiques impromptus et ces défections continuelles de nos élus provinciaux ont eu pour effets non seulement de détruire le pouvoir et le dynamisme socio-économique des régions mais aussi d’ouvrir la porte à des exodes continuels des populations du reste du pays vers la capitale. Les autres effets pervers sont tout aussi nombreux et désolants : insatisfaction populaire régionale généralisée envers le pouvoir central, multiplication exponentielle des noyaux politiques improvisés, éclatement périodique des partis politiques, alliances politiques stériles, dilution ou disparition des revendications traditionnelles des provinces, etc.

Du coté du pouvoir central, les effets n’en sont pas moins désastreux et pernicieux: incapacité à desservir efficacement les régions en infrastructures, en équipements publics, difficultés de déploiement des interventions lors des désastres naturels, propension vertigineuse à la corruption, augmentation et impunité des crimes économiques et contre la personne.

Ce ne sont pas des programmes sporadiques à la pièce tels que la construction d’universités-fantômes et d’usines manufacturières anachroniques dans des territoires voués à l’agriculture, ni les opérations de lifting sur le patrimoine national ou encore la construction de tronçons de routes et de pénitenciers qui occasionneront à long terme le décollage du pays!

Car, ces interventions sont condamnées à l’échec et ne pourront jamais générer, ni insuffler l’essor durable dont Haïti a cruellement besoin depuis la seconde moitié du 20 ème siècle.

Aujourd’hui Haïti doit absolument se dépouiller de son système politique vétuste pour amorcer une véritable redistribution juridictionnelle vers son hinterland sur le modèle d’un état fédératif en commençant d’abord par modifier en profondeur le découpage politique et géographique du territoire national actuel, en 4 grandes régions qui auraient un poids démographique équilibré, soit environ 3 millions d’âmes par région, en l’occurrence :

• La Grande région du Nord,
• La Région Centre-Artibonite,
• La Région de l’Ouest ou de la capitale nationale
• La Grande région du Sud,

Ces 4 territoires régionaux seront gérés par des gouverneurs ou des ministres régionaux élus au suffrage populaire.

Une nouvelle Haïti fédérée à travers ses 4 grandes régions distinctes, encadrée par un état central efficace, dynamique et responsable, pourra aspirer très rapidement au développement durable tant convoité tout en réduisant les inégalités régionales.

Ce modèle de gouvernance permettra notamment :

• De diminuer et de mieux répartir les responsabilités législatives, administratives et économiques de l’état central vers les régions ce qui lui permettra de se concentrer sur des politiques, des projets et des programmes dont il aurait la juridiction exclusive à l’échelle nationale, entre autres: la défense, l’armée, le transport aérien, maritime et ferroviaire, les travaux publics et les infrastructures de rayonnement national (autoroutes inter-régionales, hôpitaux, universités), les télécommunications, l’environnement, la coopération internationale, etc.

• De réduire conséquemment la taille de l’état central et de ses ministères par la délégation judicieuse des pouvoirs appropriés aux régions; • De permettre rapidement l’exploitation efficace des diverses ressources naturelles, agricoles, touristiques et patrimoniales des régions en leur transférant les responsabilités juridictionnelles et administratives assorties des budgets afférents;

• De mieux circonscrire et de mieux sévir à l’encontre de la corruption, de la collusion et des crimes qui affectent lourdement l’ensemble de la nation, grâce aux pouvoirs que détiendront les régions à cet effet, puisque ces actes seraient identifiés à l’intérieur d’une région spécifique. De sorte que, une crise quelconque ou une contestation populaire circonscrite au sein d’une région ne pourra plus paralyser l’ensemble du pays !

• De ralentir substantiellement à moyen terme l’exode des populations des métropoles régionales vers la capitale tout en favorisant à plus long terme leur retour vers leurs villes d’origine par des initiatives législatives à caractère incitatif et coercitif que les régions auraient le mandat de développer conjointement avec l’état central;

• De réduire substantiellement les risques et les conséquences des désastres naturels sur les populations locales par le transfert des compétences et des ressources appropriées aux régions;

• De revaloriser l’image, le dynamisme des grandes régions et de revivifier vigoureusement le sentiment d’appartenance si cher aux haïtiens de l’intérieur et de la diaspora. Dans un laps de temps très court, les ressortissants de la diaspora pourraient contribuer de manière directe et massivement à l’essor régional si ces derniers sont confiants que leurs régions d’origine sont rigoureusement administrées;

• De transformer et d’améliorer le rôle des collectivités territoriales ainsi que leur mode d’opération en redistribuant leurs mandats à l’échelle des régions sous formes de tables de concertation où elles seraient plus efficaces dans le cadre de leur participation à la vie démocratique;

• De mieux cordonner et de rationaliser plus rigoureusement le déploiement de l’aide internationale à travers notamment les ONG qui seront recensés, scrutés et réorientés en fonction des besoins ou des contraintes spécifiques des régions. À cet égard, il convient de souligner la confusion et le chevauchement abondamment documentés des milliers de ONG qui cumulent les mêmes opérations et interventions dans le pays, la plupart du temps sans aucune coordination intelligentes autorités haïtiennes compétentes. D’où l’autre chaos.

• De ralentir la prolifération des partis politiques dénués de programmes compréhensibles ainsi que les allégeances improductives résultant de l’insatisfaction ou de la concupiscence des élus régionaux attirés constamment par les prérogatives que confère l’état central. Ceux-ci deviendraient alors RESPONSABLES de la gestion de leurs territoires respectifs devant leur électorat, selon un mode de scrutin à définir et à adopter dans le processus de décentralisation.

Le premier ministre national aura en outre le mandat de coordonner et de discuter avec les ministres régionaux (ou les gouverneurs) en dotant le pouvoir exécutif d’un nouveau secrétariat des régions dont la structure finale serait déterminée par l’assemblée nationale.

Au terme de ces réflexions conceptuelles que partageront, souhaitons-le, d’autres observateurs, il m’apparait opportun de souligner que le véritable défi pour Haïti et ses décideurs ne consiste pas à saupoudrer des projets à travers le pays, ni à colmater continuellement les brèches d’un système de gouvernance politique désuet centralisé qui ne répond plus aux attentes des populations du pays.

Il convient plutôt impérieusement de mettre en œuvre la véritable structure politique apte à relancer le pays, en l’occurrence le fédéralisme régionalisé ! C’est la voie qu’ont choisi plus de 30% des nations du monde, entre autres, le Canada, les USA, le Brésil, le Costa-Rica, l’Australie, l’Argentine, les Comores, le Venezuela, le Nigéria, le Mexique, l’Inde, la Belgique, l’Espagne, l’Éthiopie et plus récemment le Soudan, l’Afrique du sud, pour s’épanouir dans le respect des différences et des aspirations des régions de leur hinterland respectif.

Il faut absolument mettre fin à ce statu quo dont les conséquences au fil des élections n’engendrent que de insatisfactions régionales profondes, des guerres de tranchée féroces, de la haine larvée, des polarisations socio-économiques et politiques continuelles qui finiront tôt ou tard par précipiter irrémédiablement Haïti dans l’abîme.

En fait, Haiti apparaît présentement comme un joyau d’architecture patrimonial dont les murs, la toiture, les fenêtres, sont lézardés suite à de nombreuses secousses telluriques et d’ouragans, alors que la plomberie et l’électricité sont dangereusement et continuellement défectueuses mettant constamment en danger les occupants ! Le réflexe répétitif de tous les dirigeants a toujours été de remplacer les fenêtres, d’obturer les fissures et de refaire l’électricité et la plomberie! Pourtant, malgré l’intervention régulière de nombreux experts nationaux et internationaux, le bâtiment continue inexorablement de se détériorer, de s’affaisser jour après jour.

Il faut y aller à la base, en l’occurrence, rebâtir des FONDATIONS plus solides pour limiter définitivement les dommages à long terme. Cette reforme passe par la refonte en profondeur de la constitution; elle insufflera au pays et à sa population un nouvel élan, une bouffée de fraîcheur et de l’espoir aux plus jeunes générations, actuellement désorientées, perdues, divisées et appauvries.

Il faut surtout arrêter d’imputer la déchéance du pays continuellement à la corruption et aux gabegies administratives récurrentes de ses dirigeants, à l’hégémonie des organisations internationales. Car, si l’on ne nettoie pas le seuil de sa porte on doit s’attendre à ce que les voisins viennent nous dire comment et quand le faire, notamment en déployant leurs organisations sur tout le territoire.

C’est à cette tâche structurelle majeure de refondation politique à laquelle tout gouvernement devrait s’atteler très rapidement pour freiner la descente aux enfers et marquer de manière indélébile son passage dans l’histoire riche et mouvementée de ce pays.

Il faut avoir du cran, une volonté inébranlable et de la discipline pour changer ce paradigme tenace. Cela exige la contribution active et désintéressée de tous les secteurs politiques et de toutes les classes socio-économiques du pays, somme toute, une immense consultation nationale ayant pour thème central : La Nouvelle République régionalisée d’Haiti, indivisible. L’on pourrait alors sans hésitation ajouter à la devise “l’union fait la force” celle de “ le soleil luit pour tous “…en créole “ Solèy-la klere pou tout moun ! “.

La discussion est ouverte et le ballon est centré! Évitons les embardées sémantiques et les émotions, allons directement au but ! __________________

Consultant en aménagement et en urbanisme
BA. Design de l’environnement M.Urb

Le texte original a été produit en 2009 sur le blog Haiti Horizon 2015 de l’auteur.