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«Qui part d’une erreur n’arrive jamais à la vérité» par Jean-Max Bellerive, ex premier ministre haïtien

Mercredi 22 novembre 2017 ((rezonodwes.com))–

1. INTRODUCTION

Après le temps des accusations, vient forcément celui des démentis ou, mieux, celui des explications. Il faut des coupables pour expliquer l’état calamiteux de nos finances publiques, de nos infrastructures routières, de notre système éducatif ou de santé. Les griefs sont donc énormes et le dossier PetroCaribe, qui fait la UNE depuis plus de six (6) années, semble être le parfait véhicule pour démontrer la propension à la corruption et au gaspillage des différents gouvernements qui se sont succédé à la tête de notre pays.

L’analyse des dépenses publiques, pas seulement d’ailleurs celle des fonds provenant de l’accord PetroCaribe, est donc hautement pertinente, et les premiers qui devraient s’en réjouir sont justement ceux qui ont eu à servir l’État. Il est en effet douloureux pour les hommes et les femmes, qui ont investi toute leur énergie à faire ce qu’ils pensaient être un sacerdoce, d’être « mis dans le même sac » que ceux qui n’ont vu dans leur nomination ou leur élection qu’un tremplin vers une promotion sociale et financière.

À ce titre, le « rapport Beauplan » sent le soufre, mais ne peut apporter aucune réponse cohérente au besoin d’éclaircissement de la société haïtienne, qui a soif tant il est truffé de CONTRE-VÉRITÉS, d’ANOMALIES et d’INCOHERÉNCES.

Les exemples de ces incongruités abondent et quelques exemples seront donnés ci-après. Ils ne constituent en aucun cas une défense de la gestion de l’ancien Premier ministre Jean Max Bellerive, mais bien la preuve qu’un véritable audit reste à faire par des institutions et des experts compétents et indépendants afin de pouvoir rétablir la vérité, identifier les coupables éventuels et condamner leurs actions frauduleuses. Tant que la société n’aura pas la conviction que cela aura été fait, au-delà des agendas politiques et des vendettas personnelles, Haïti ne pourra véritablement penser être sur la route du progrès, porteur de développement et de bien-être pour la grande majorité de la population.

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Il. INCOHÉRENCES. ANOMALIES ET MENSONGES

En 2010, le Parlement vote une loi d’urgence spéciale habilitant le GOUVERNEMENT à prendre sur une durée de dix-huit (18) mois les mesures propres à donner une réponse appropriée au désastre causé par le séisme du 12 janvier 2010.

Le cadre légal est donc planté. Cependant, l’on retrouvera dans tout le rapport concernant M.Bellerive une volonté affirmée de le mettre en cause, afin de justifier que tout recours à ce cadre n’est motivé que par des intentions pernicieuses.

EXEMPLES :

1) Page 115 : utilisation à géométrie variable des rapports de la Cour supérieure des Comptes et du Contentieux administratif (CSCCA) dépendamment de l’identité des ordonnateurs en présence. Telles anomalies dans les procédures sont jugées acceptables et recevables d’un côté, répréhensibles et condamnables de l’autre. Le rapport n’est donc ni neutre, ni objectif, ni impartial dans son appréciation.

2) Page 122 : le rapport outrepasse carrément le cadre de son mandat et fait une interprétation abusive du régime juridique haïtien en tentant d’opposer la loi du 15 avril 2010 sur l’état d’urgence à celle du 10 juin 2009 sur la passation des marchés publics. Le rapport croit déceler une « contradiction » entre les deux textes. Ce qui n’est guère le cas, puisqu’ils traitent de deux situations différentes et se réfèrent à deux contextes différents. La loi du 10 juin 2009 relève du droit commun et dispose donc pour les situations normales. La loi d’urgence établit au contraire un régime dérogatoire au droit commun s’appliquant à des situations d’exception. L’adoption d’une telle loi se justifie par le fait que le séisme du 12 janvier 2010 a créé une situation sans précédent à travers le pays qui ne pouvait guère être affrontée à la lumière des lois ordinaires. De quelle « contradiction » peut-il bien s’agir quand on a affaire à deux ordres de choses nettement distincts? L’article 6 de la loi du 15 avril 2010 sur l’état d’urgence est très clair sur ce point :« Pendant l’état d’urgence et, par dérogation aux normes en application, le gouvernement est habilité à agir en vertu de l’acte instaurant l’état d’urgence. Il prend toutes mesures jugées utiles…… ». L’article 7 énumère tous les actes que le gouvernement peut poser en cette période, y compris celui d’accorder des autorisations et des dérogations prévues par la loi pour l’exercice de ses activités.

3) Page 169. Le rapport fait de la CSCCA une des parties signataires d’un contrat alors qu’elle n’en est que l’autorité d’approbation.

4) Page 177 : la liste des projets inscrits dans la résolution du 11 mai 2011 a été tronquée à dessein. Cette résolution concerne les 17 projets ci-après :

Le rapport présente une liste de 18 projets au lieu des 17 publiés dans Le Moniteur. Pire, plusieurs projets listés ne concordent pas avec ceux retenus dans la résolution du 11 mai 2011. À titre d’exemple, le rapport fait état des projets suivants:

#7 Construction de 1500 maisons et d’infrastructures à Morne-a-cabri ……….22 000 000 $US

#15 Réhabilitation de la Villa d’Accueil….. ………….25 000 000 $US

#16 Construction du Ministère de l’lntérieur ……….15 000 000 $US

#17 Construction de Parcs Sportifs ……………………..4 500 000 $US

– Curieusement, ont DISPARU, dans le rapport, de la liste prêtée à la résolution du 11 mai 2011, les projets suivants :

– RENOVATION URBAINE ET DÉVELOPPEMENT RÉSIDENTIEL A BOWENFIELD ……22 000 000 $US.

– RENOVATION URBAINE ET DÉVELOPPEMENT RÉSIDENTIEL A FORT NATIONAL …………22 000 000 $US

– SUPERVISION DES TRAVAUX DE DEMOLITION et ENLÈVEMENT et GESTION DE DÉCOMBRES et DÉBRIS …….. 2 800 000 $US

En outre, le rapport modifie allègrement les montants affectés à certains projets par la résolution du 11 mai 2011. À titre d’illustration, pour le projet travaux complémentaires Puilboreaux et Marmelade, 5 769 083 $US étaient prévus dans la résolution. Dans le rapport, n’apparaissent que 3 735 711 $US.

Dans la résolution originale, un montant de 15 000 000 $US a été alloué au projet de démolition/enlèvement de décombres/débris dans le périmètre pilote de reconstruction du centre-ville de Port-au-Prince ou dans toute autre zone indiquée par le gouvernement. Par contre, le rapport fait état d’une enveloppe de 10 750 000 $US.

Dans la même veine, la résolution du 11 mai 2011 totalise des projets pour un montant de 108 799 883 $US, alors que le rapport fait état d’une somme de 99 716 511 $US.

On se trouve donc en face d’une vaste entreprise de manipulation qui prouve clairement à quel point le rapport n’est ni sincère, ni cohérent, ni fiable.

Ces manipulations, loin d’être isolées, sont au contraire systématiques dans toute la partie du rapport couvrant ou parlant de l’administration Préval/Bellerive. Pour preuve, la résolution du 24 août 2010 totalise 107 400 000 $US alors que, dans le rapport, il n’est mentionné que 102 924 241 $US.

5) De manière générale, en ce qui concerne les infrastructures routières, on constate que le rapport fait du prix standard pour la construction des infrastructures routières une règle immuable, passe-partout, intemporelle et intangible. Cette tentative de comparaison est pour le moins arbitraire, infondée, biaisée. C’est faire abstraction totale du cahier des charges techniques lié à chaque type d’infrastructure incluant, entre autres, la nature des sols en présence, les ouvrages d’art, les travaux confortatifs et de drainage nécessaires, les niveaux de terrassement, la largeur de la chaussée, le nombre de couches de base, les types de revêtement, la topographie des régions concernées, le régime pluviométrique, les portances souhaitées. Donc, à partir de ces prémisses fausses, on en arrive à tirer des conclusions hâtives, bâclées et dangereuses juste pour diaboliser X ou Y et donner un semblant de justification à des condamnations et à des pendaisons décidées à l’avance.

6) Page 195 : le rapport met en question un ensemble de décisions adoptées par l’administration Préval/Bellerive en vue de doter toutes les régions du pays d’un certain nombre d’équipements d’intérêt public et va jusqu’à contester leur opportunité. Il s’agit là d’appréciations nettement subjectives et a posteriori, donc hors contexte. À ce compte, le rapport enlève au gouvernement les prérogatives constitutionnelles qui sont les siennes d’administrer le territoire national et de formuler des politiques publiques permettant de répondre aux besoins des populations, à la vision et aux engagements électoraux du président de la République, à la déclaration de politique générale du Premier ministre et aux choix définis dans les différents documents d’orientation stratégique. À suivre la logique du rapport, mon gouvernement devrait simplement se confiner dans la gestion de l’urgence au détriment des provinces. Toutes les évaluations ont été pourtant unanimes à convenir que le séisme du 12 janvier 2010 a impacté, par son ampleur, l’ensemble du pays et les divers secteurs d’activités. En effet, les dégâts et le nombre des victimes enregistrés ont eu largement à voir avec le déséquilibre territorial en termes de disponibilité des infrastructures de base. Donc, la réponse ne pouvait être que nationale.

7) Tout au long du document, un amalgame volontaire a été organisé dans le but évident de créer des suspicions sur la gestion de l’administration Préval/Bellerive et étayer les accusations de forfaiture, de concussion et de détournements de deniers publics à mon endroit. Comme précédemment exposé, le contenu des résolutions a été modifié ainsi que certains montants. Des projets ou avenants me sont sciemment attribués alors que je n’ai participé ni à leur élaboration ni à leur adoption. Par exemple, la réhabilitation de la Villa d’Accueil (2,500,000.00 $US) ne fait pas partie de la résolution du 11 mai 2011. Des projets financés à partir d’autres sources de financement (FMI/ annulation de la dette ou Trésor public) sont mis au compte du financement à partir du Fonds PetroCaribe. Il s’agit bien d’amalgames porteurs de préjudices.

8) Page 203 : Le rapport admet sans détour que le ministre de la Planification et de la Coopération externe avait qualité pour engager l’État haïtien le 13 mai 2011, puisqu’il n’a pas identifié de « problème d’ordre légal ». Par contre, il avance tout de même un argument spécieux et tente d’apporter un bémol à ce constat en évoquant une question d’éthique, sans se donner toutefois la peine de préciser les références légales sur lesquelles il s’appuie pour aboutir à cette conclusion. Pour l’histoire, il s’est tenu au début du mois de mai une réunion entre le président Préval, le président élu Martelly et le Premier ministre Bellerive, où différentes décisions dont la signature desdits contrats ont été concertées dans le cadre de la continuité des opérations de l’État. Je réfute donc toute tentative de faire croire que j’aurais pu, sciemment, poser des actes sans l’aval clairement exprimé des deux présidents de la République avec lesquels j’ai été amené à collaborer en qualité de chef de gouvernement ou de ministre de la Planification et de la Coopération externe.

Toujours à la page 203, le rapport accuse le MPCE d’avoir négocié et signé des contrats en écartant les ministères sectoriels. Quel est le texte de loi incriminé en l’espèce, alors qu’il s’agit de modalités du travail gouvernemental arrêtées en Conseil des ministres ? En tout état de cause, pour l’histoire une nouvelle fois, le processus participatif mis en place pour le montage desdits projets a intégré non seulement les ministères sectoriels et celui des Finances, mais également la BNC et la BRH, des parlementaires tout comme les communautés concernées.

9) En fin de compte, il est évident qu’il s’agit d’une opération de lynchage politique et social puisque, de façon notable, même des collaborateurs, vivants ou décédés, du ministre de la Planification Bellerive sont indexés dans ce rapport. On constate cependant que les noms des membres de commission ministérielle de passation de marchés publics, des autres ordonnateurs n’ont pas été ciblés ni livrés en pâture à l’opinion publique. Ce choix ne saurait être le fruit du hasard. Il y a donc un clair focus visant à abattre tous ceux qui seraient identifiés, à tort ou à raison, comme faisant partie de mes proches.

10) Je m’étonne, en outre, que certains documents officiels communiqués personnellement à la commission sénatoriale d’enquête, de nature à corroborer la légalité et la régularité de divers actes administratifs que j’ai été amené à poser dans l’exercice de mes fonctions, n’aient pas été pris en compte dans le rapport. Dans le même ordre d’idées, lors de mon audition, pratiquement aucune des accusations dont je suis aujourd’hui l’objet n’ont étrangement fait l’objet de questionnements spécifiques. À aucun moment non plus, à part cette audition unique, je n’ai été contacté pour des explications, précisions ou commentaires supplémentaires.

Toutes ces considérations et anomalies m’amènent donc, sans surprise, à conclure qu’il ne s’agissait en aucune façon de réaliser un véritable audit de ma gestion et à me questionner sur les motivations des instigateurs, des concepteurs et signataires de ce document.

Ill.CONCLUSION

Aucun gestionnaire public ne saurait vouloir se soustraire à l’audit de sa gestion et à la reddition des comptes. C’est non seulement une exigence constitutionnelle, mais cela fait partie du respect des règles de la comptabilité publique. C’est surtout une garantie de bonne gouvernance pour assurer que la défense et la promotion de l’intérêt général soient au centre de l’action des gouvernants. À cet effet, il existe un cadre institutionnel et légal (CSCCA, ULCC, Inspection générale des Finances, UCREF, ..) chargé soit de veiller à la régularité et à la bonne gestion des dépenses publiques, soit de prévenir les cas de prévarication, d’enrichissement illicite et de blanchiment d’avoirs.

Il est, bien entendu, dans les attributions du Parlement de mener des enquêtes sur toutes questions d’intérêt général. À ce titre, l’initiative du Sénat de la République de diligenter une enquête sur la gestion du fonds PetroCaribe de 2008 à 2016 pouvait être reçue, a priori,comme un pas dans la bonne direction. Mais tout cela aurait dû se faire avec le sérieux, la rigueur, le professionnalisme et les garanties d’impartialité, d’objectivité et de neutralité qui siéent à une telle démarche.

L’approche retenue ne manque cependant pas de soulever des questionnements.

– Entre autres, le Sénat n’a pas expliqué pourquoi les institutions placées à cet effet ont été soit systématiquement ignorées, soit quelquefois instrumentalisées à dessein. Cette attitude ne peut qu’affaiblir les institutions de l’État. Dans un État de droit, le recours à ces institutions est impératif et incontournable. Il ne peut être ni aléatoire, ni sujet à des appréciations subjectives, voire capricieuses ou intéressées.

– Le Sénat n’a pas non plus fourni d’explications sur la méthodologie de son travail, ce qui pourrait clarifier les modalités et les critères de recrutement, la composition et l’identité des membres de l’équipe technique ayant produit ce rapport. Par ailleurs, on n’a aucune idée de la documentation utilisée, des personnes interviewées et rencontrées, des questionnaires d’enquête, de la grille d’analyse.

– Pour un exercice qui prétendait faire la lumière sur une tranche de la gestion administrative et financière d’un certain nombre d’ordonnateurs publics, il est regrettable que cela se soit déroulé dans une telle opacité propice à toutes les manipulations et à tous les marchandages.

– Pour l’avenir de la démocratie haïtienne et le renforcement de la bonne gouvernance, il serait hautement souhaitable que tous les actes associés à une telle enquête soient totalement transparents. Ce qui permettrait d’éviter quiproquos, malentendus, incompréhensions et, a fortiori, procès d’intention.

– Le Sénat n’a pas élucidé, par ailleurs, pourquoi l’enquête reste étonnamment confinée aux ressources dégagées à partir du financement de PetroCaribe qui ne représente, après tout, et dépendamment des années, qu’environ un tiers de l’enveloppe budgétaire allouée à l’investissement public. Si l’objectif affiché est d’arriver à une reddition de comptes, celle-ci ne peut être partielle.

Finalement, l’objectif de tout ce montage apparaît clairement : il vise à pouvoir m’accuser d’enrichissement illicite et d’abus de pouvoirs. Cela fait déjà six années que je subis les conséquences désastreuses, et pour mes proches et pour moi, de cette campagne insidieuse, malveillante et infondée.

J’exige que l’abcès soit enfin crevé, qu’une vraie enquête judiciaire, à l’abri des passions politiques et des agendas politiques, bénéficiant de toutes les garanties d’équité, puisse faire définitivement le point sur la question et que toutes les ressources soient mobilisées pour, enfin, faire éclater la vérité, y compris en recourant à l’entraide judiciaire internationale. Je suis près à y faire face.

Jean Max Bellerive