par Lovinsky D’Haïti

Mardi 27 août 2019 ((rezonodwes.com))–

I.- Contexte

Depuis environ dix ans, l’idée d’intégrer le
vote  électronique au processus électoral haïtien préoccupe les
acteurs politiques, les entités de la société civile, les électeurs les plus
avisés, des responsables de l’organisme électoral. Cette tendance tient au fait
que  nos élections sont toujours entachées de diverses irrégularités:
organisationnelle, politique, sécuritaire, économique et financier. Plus d’un
pense que certaines irrégularités sont générées par  la lourdeur même du
processus.

Parmi les éléments contribuant à la lourdeur du processus, on peut mentionner particulièrement : la confection des bulletins de vote, le transport des bulletins et du matériel connexe aux centres de vote, le dépouillement des bulletins après le vote, la rédaction d’un procès-verbal du vote par les agents électoraux, le transport des bulletins au Bureau Communal, puis au Bureau Départemental et finalement au Centre de Tabulation, à Port-au-Prince.

La remontée des bulletins à la capitale peut même aller au-delà de 2 à plusieurs jours. Maintenant, ceux-ci vont faire l’objet d’un tri et les corrections qui vont être saisis puis soumis à d’autres traitements. Concrètement, entre le jour du vote et celui de la publication des résultats provisoires, il peut s’écouler  10 à 30 jours. Les résultats définitifs s’ensuivront après une période indéterminée, ponctuée de contestations, de graves turbulences et de procès, constituant de véritables crises électorales. Au final, la mémoire collective étiquettera ces joutes de fraudes électorales.

Face à ces crises récurrentes, l’utilisation du vote
électronique parait être la planche de salut. Un tel type de vote peut-il
assainir le système électoral haïtien et inspirer confiance à tous les
concernés. Et le pays est-il prêt pour se lancer dans une telle aventure ?
Le présent texte s’inscrit comme une modeste contribution à ce débat.  

II.- Cadre conceptuel du vote électronique

Le vote électronique a pour but d’alléger le processus
électoral et de garantir la confiance aux différents acteurs : candidats,
électeurs, partis politiques, société civile, observateurs, etc. Toutefois,
l’efficacité du  système de vote électronique exige la prise en compte
d’un ensemble de facteurs inhérents à tout système électronique.

Conception du système : un système électronique est
un système sensible qui doit être sécurisé. Ainsi, la conception d’un système
de vote électronique doit être particulièrement l’œuvre d’experts nationaux,
sans interférence étrangère aucune. Une intromission externe peut vicier le système
à la base
avec de fâcheuses et incalculables conséquences, au cas où des partenaires
seraient malintentionnés.

Administration du système : l’administrateur du système est à
même de truquer les résultats. Ainsi, doit-il être très discret, très bien traité
et placé sous la supervision du Ministère de l’Intérieur et des Collectivités
Territoriales.

Déploiement du système : Le déploiement du système  se
réfère à l’installation et la configuration du hardware, l’installation du
logiciel qui régit le fonctionnement du système de vote électronique, et à
l’interconnexion de tous les postes qui seront installés dans les Bureaux de
Vote au serveur central qui intégrera les données du vote.

Sécurité du système : Le système doit être
 sécurisé, sinon il  pourrait être piraté, manipulé. Toute faille à
ce niveau peut entraîner que les résultats du vote soient également indûment
mis au compte d’un autre candidat.

Prévention de problèmes techniques : erreur de programmation,
défaillance du serveur, panne d’un ordinateur, machine de vote etc. Toute
négligence à ce niveau  peut entraîner le  fiasco du processus
électoral.

III.- Quelques facteurs limitant

Le  pays fait face à certaines contraintes qu’il
importe également de prendre en compte dans la stratégie  d’adoption du
vote électronique. Les trois principales sont les suivantes :

·        indisponibilité de
l’énergie électrique au niveau national et incapacité de garantir celle-ci
durant 24 heures dans une zone donnée;

·        couverture
insuffisante de l’internet au niveau national. Il a été noté dans des villes
des départements de l’Artibonite, du Nord, du Nord-Ouest
,du Nord-Est, du Centre, du Sud Est, de l’Ouest et de Nippes, de la
disponibilité de connexion internet, avec un faible débit dans la journée
et une amélioration en nocturne, de 11 heures du soir à 7 heures du matin. Au
niveau des sections communales, la connexion est très difficile et parfois
indisponible ;

·        Identification
nationale. L’identification électronique des nationaux introduite au pays dans
le cadre des élections de 2006 implique l’émission de la Carte d’Identification
Nationale (CIN), qui sert normalement de carte électorale. L’institution qui
gère ce service fonctionne de manière suboptimale, à l’instar des autres
institutions publiques. De très graves problèmes ont entaché la confection et
la distribution des cartes. La Base des données des cartes qui sert de base de
données des électeurs n’est pas actualisée à l’effet d’éliminer les personnes
décédées, alors que le renouvellement de la carte est un casse-tête pour les
citoyens et électeurs.

Il ne parait pas superflu de noter en passant que les
pays qui sont à l’ère du vote électronique ont déjà résolu bien auparavant
des problèmes d’électrification, d’identité nationale, de justice et de
connexion internet.

IV.- Avantages et risques du vote électronique pour
Haïti

Les avantages de l’utilisation du vote électronique en
Haïti peuvent être divisés en deux catégories : avantages techniques et
avantages financiers

Les avantages techniques se résument ainsi:

·        un
dépouillement plus rapide et plus fiable ;

·        une
diminution des coûts ;

·        Élimination
du transport des bulletins avec les dérives et les tracasseries y afférentes.

·        Publication
rapide des résultats du vote ;

·        Présence
non nécessaire dans une zone pour voter un candidat de la zone ;

·        Réductions
des fraudes électorales ;

·        Suivi
électronique des votes au  Bureau Central et élimination des conséquences
des risques de vandalisme et de pertes de données

Les avantages économiques s’entendent ainsi :

·        Le
Conseil Électoral réalisera des économies avec l’élimination des rubriques
impression et transport des bulletins (importation éventuelle de l’extérieur,
 distribution au niveau national aux centres de vote avant les
élections et remontée au Bureau Central après le scrutin);

·        Les
candidats et les partis politiques n’auront plus à placer des mandataires dans
les bureaux de vote.

Le vote électronique n’est pas indemne de risques et
inconvénients. Le piratage du système et la programmation des résultats
constituent les principaux risques du vote électronique.

L’expérience des dernières élections fait craindre la
collusion entre l’Elite économique, le Gouvernement et la communauté
internationale, prépondérante dans les affaires haïtiennes, en faveur d’un
candidat. Cela peut aboutir à des résultats préprogrammés et entraîner  le
pays dans une nouvelle crise électorale.

Quant aux inconvénients, ils  peuvent découler
d’un manque de maîtrise du système et d’une déficience de la logistique. En ce
qui a trait à la maîtrise du système de vote électronique, il  convient
d’en faire une expérience pilote, qui permettra de corriger certaines
imperfections et des effets imprévus, avant son utilisation à l’échelle
nationale.

V.- Quelques opinions de concernés sur le vote
électronique 

Au regard de la problématique du système électoral
haïtien et du souhait de l’introduction du vote électronique, de nombreuses
personnalités ont exprimé leur opinion. Parmi celles-ci, on peut
signaler : Léopold BERLANGER dans Le Nouvelliste du 30 aout 2018[1], Rosny DESROCHES, Yves LAFORTUNE,
Yolaine GILLES, Eddy LABOSSIERE, Clarens RENOIS dans Le Nouvelliste du 07 Mars
2017[2], et Jean Marcel LUMERANT, dans Le
Nouvelliste du 21 avril 2017[3].

 Ces intervenants, conscients des limites et des
crises récurrentes du mode de scrutin actuel, souscrivent tous à l’utilisation
du vote électronique, tout en exprimant parfois certaines réserves.

 M. BERLANGER, Président du Conseil Électoral
Provisoire (CEP), propose la modernisation du processus moyennant un budget
plus élevé que celui du système de vote traditionnel, une variation entre 50 et
70 millions de dollars. La modernisation vise l’identification et
l’authentification des votants via leur empreinte pour éviter des
discussions et la promesse des résultats le soir même
des élections au mieux, ou dans 24 à 48 heures après les élections
 ».

Pour M. LAFORTUNE, qui prône un
renforcement de la souveraineté d’abord, l’adoption de ce modèle électoral doit
être une décision éclairée et concertée. « Il faut éviter qu’il y ait des décisions
précipitées qui coûtent beaucoup d’argent et qui n’auront pas de réels
résultats ».

Mme GILLES estime
qu’il faut changer tout le système électoral haïtien pour pouvoir organiser de
prochaines élections dans le pays. Sinon, les élections se termineront toujours
par des scandales et le peuple n’aura plus confiance
.

Rosny DESROCHES, Responsable de l’Observatoire Citoyen
pour l’Institutionnalisation de la Démocratie (OCID), pense qu’Haïti doit résolument
s’orienter vers le vote électronique et qu’il y a actuellement trop
d’intermédiaires dans le processus en plus des problèmes d’identification des
électeurs. Un système de vote  trop compliqué, sujet aux  fraudes et
manipulations. Si le soir même on donne les résultats, plus personne ne pourra
véritablement contester.

L’économiste LABOSSIERE, lui, évoque le risque de
piratage, que des hackers trafiquent les élections. Ce risque écarté,
l’intéressé croit que le vote électronique pourrait sonner le glas des organes
contentieux du BCEN et du BCED.

 M. RENOIS a pris acte, lors des dernières
élections, du transport à dos d’animaux du matériel électoral. Dans la
perspective du vote électronique, il se demande si on va mettre des groupes
électrogènes partout.

M. LUMERANT croit que le système électronique rendra la
réalité des urnes plus transparente et acceptable pour la
population. 

VI.- Echos déconcertants de l’Extérieur

En exergue à cette rubrique, il convient de signaler
un élément d’avertissement d’une étude réalisée en 2010 par l’Université
Carleton au Canada « la privatisation est source de
préoccupation lorsque les administrateurs électoraux cèdent le contrôle à une
firme. L’octroi de contrats à des entreprises privées pour la portion
électronique des élections peut être mal perçu par certaines personnes et
risque, par conséquent, de miner la confiance du public envers le gouvernement
et le processus électoral
.[4] »

La grande avancée que constitue l’utilisation du vote
électronique n’a pas manqué de susciter certains désenchantements. Il en
résulte un certain élan vers le retour au système électoral traditionnel.

NOISETTE, dans un rapport publié le 03 mars 2017 à 18h 39 sur le site de l’OBS[5], mentionne des pays qui ont renoncé
au vote électronique : les Pays-Bas en 2008, l’Irlande en 2012. En
Belgique, en 2015, le Parlement Wallon a demandé l’abandon du vote
électronique. Les raisons évoquées pour ce volte-face incluent notamment :
aucun gain sur la fiabilité et célérité du dépouillement en Belgique,
impossibilité pour les électeurs de vérifier les résultats, sécurité
insuffisante des ordinateurs de vote, risque de modifier le décompte des votes.

  BEAULIEU (2006) rapporte qu’au Québec, les
élections municipales de novembre 2005, automatisées à 95%, ont été
émaillées de nombreux incidents : panne d’équipements, coupure de
connexion d’internet, double comptage de votes, arrivée tardive des
résultats, etc. [Beaulieu 2006].[6]

VII.- RECOMMANDATION          

Le vote électronique, on le rappelle, exige un système
informatique fiable, un matériel performant garantissant son
fonctionnement et un système de réseau pour véhiculer le flux de données
vers le serveur central.

Par ailleurs, le vote électronique ne va pas éliminer
des fraudes si on ne prend pas de bonne décision pour sécuriser le système et
éviter le piratage. Le piratage des données du vote électronique est beaucoup
aisé par les convoiteurs des élections. Car il est encore plus difficile à retracer
la fraude.

En relation avec ce prérequis, le domaine de
recommandation inclut les éléments suivants.

Un Système Informatique fiable : comme il a été signalé
antérieurement, le système pour être fiable et inspirer la confiance des
acteurs, doit être réalisée par des nationaux. Son développement doit être
financé par le Trésor Public. Le pays renoncerait alors, en la matière, au
financement étranger, auquel le bailleur associe toujours une firme
internationale pour la conception du software, avec possibilité d’une fenêtre
de dérive.

Un matériel sûr : le matériel doit être
suffisant en quantité et en qualité. Il convient d’éviter de trop longues
files d’attente, d’éventuelles pannes et aussi de prévoir un plan de
contingence.

Un réseau bien établi: le vote électronique implique la
mise en réseau des ordinateurs afin que les données puissent être
disponibles en temps réel sur le serveur central. Et maintenant, quel type de
réseau utiliser?

Une disponibilité de l’énergie électrique : L’électrification du pays
est la condition fondamentale de la fonctionnalité du système de vote
électronique. Mais, comme on le sait, l’énergie électrique est une
ressource rare chez nous. Lors des élections de 2015- 2016, écho a été
fait d’une coupure d’électricité assez sévère qui faisait craindre le pire pour
le déroulement du scrutin (voire remarque).

Un réseau internet étatique : actuellement, le pays est
desservi par deux opérateurs privés, dont l’un est associé à l’Etat Haïtien. La
connexion internet est de faible débit et ne touche pas toutes les zones du
pays. Qu’arriverait-il si au cours de la journée électorale, le système de ces
fournisseurs est tombé en panne. De quel plan de contingence l’Etat
dispose-t-il ?

Dans la perspective du vote électronique, l’idéal
serait que l’Etat Haïtien dispose de : 1) son propre réseau informatique
pour faire circuler de manière autonome les données de l’élection vers le
serveur central sans passer par un prestataire privé, 2) une autre plateforme
qui ouvre une fenêtre entre l’un des serveurs et l’internet  pour être
visible au public. Cela permettra aux intéressés de se tenir informés des résultats
à partir d’une connexion internet.

Ce réseau doit être coiffé par le Conseil
National des Télécommunications (CONATEL) du Ministère  des Travaux
Publics Transports et Communication(TPTC), qui en
assurera la surveillance.

Une expérience pilote : Il doit y avoir une
expérience pilote d’utilisation du vote électronique. Cela peut se faire
  dans une élection locale ou communale et permettre les
rectifications nécessaires. L’extension au niveau national s’ensuivra. 

Un système d’identification nationale fiable, basé sur des empreintes, développé
et géré par des ingénieurs haïtiens.

En guise de conclusion, sur la base des
considérations précédentes, il parait évident qu’Haïti n’est pas encore
prêt pour implanter le vote électronique, techniquement, logistiquement et
organisationnellement. Certes, la perspective est qu’il y arrive. C’est, en ce
sens, qu’au titre de devoir de citoyen sont proposées les précédentes
recommandations. 

 III.Webographie    

          1-      Rim Ben Achour, QUEL AVENIR POUR LE VOTE
ELECTRONIQUE EN Belgique, A. Poutrain – 13, Boulevard de l’Empereur – 1000
Bruxelles, Octobre 2010. Publié le 21-11-201| Document consulté en ligne le 25
juillet 2018 sur le site. https://issuu.com/donaldleclau/docs/avenir_vote__lectronique_octobre_2010

2–     Samuel CELINÉ : « Vers le vote électronique
en Haïti : des étudiants développent un logiciel”. Publié le 2017-04-21 | Le Nouvelliste. Consulté le 10 Octobre 2018.

https://www.lenouvelliste.com/article/170313/vers-le-vote-electronique-en-haiti-des-etudiants-developpent-un-logiciel

3-     Patrick
SAINT-PRE
 : «Le
vote électronique face aux défis structurels d’Haïti». Publié le
2017-03-07| Le Nouvelliste. Consulté le 11 septembre 2018. https://lenouvelliste.com/article/168987/le-vote-electronique-face-aux-defis-structurels-dhaiti

4–     Björn Lomborg, Gaëlle Prophète: «Le vote électronique : un
investissement pour renforcer la démocratie”. Publié le 2017-02-16| Le
Nouvelliste. Consulté le 20 Décembre 2018. http://lenouvelliste.com/article/168499/le-vote-electronique-un-investissement-pour-renforcer-la-democratie

 5–     Michèle
Guilbot
. « Aides à` la conduite, véhicule
connecté et protection des données personnelles». APVP14 – 5`eme Atelier Protection
de la Vie privée, Jun 2014, Cabourg, France. 6p, 2014. Consulté le 10 octobre
2018. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01207830/document

6–     Robenson
Geffrard
 : « Les élections d’octobre 2019 coûteront entre 50 à 75
millions de dollars ». Publié le 2018-08-30 | Le
Nouvelliste. Consulté
le 02 octobre 2018.
https://lenouvelliste.com/article/192016/les-elections-doctobre-2019-couteront-entre-50-a-75-millions-de-dollars

Lovinsky 
D’HAITI, Ing. Informaticien MSc.