Lundi 19 août 2019 ((rezonodwes.com))– Parmi les situations gênantes, frôlant même le ridicule, dérivant du désordre hiérarchique dans la PNH, que j’ai eues à vivre, il y en a deux en particulier dont je n’ai jamais pu m’empêcher de rire à gorge déployée, à chaque fois que j’y pense.

La première est celle où, pour la première fois depuis l’investiture du directeur général, j’avais la chance d’assister à l’acrobatie de l’inspecteur général en chef s’apprêtant, en bon subordonné, à saluer son supérieur le commandant en chef de la police. Le ridicule dans tout cela est qu’il ne faisait pas longtemps que ce dernier était sous ses ordres.

Cette situation, malheureusement, loin d’être un cas isolé, est caractéristique de ce qui se passe à tous les niveaux dans la hiérarchie policière. Il est un fait normal de se voir être aujourd’hui le subordonné de celui dont on a été hier le supérieur hiérarchique. Et cette gangrène chronique qui ronge le fondement pyramidal de l’institution ne fait qu’ empirer à chaque tentative d’y apporter un palliatif.

La seconde, la plus plaisante et celle qui illustre le mieux le processus comique de la hiérarchisation de notre corps de police, a eu lieu lors d’un concours de franchissement de grade pour des agents IV dont certains traînaient encore cette grade sur leurs épaules depuis dix ans. Comme vous pouvez l’imaginer, ce concours a abouti à une protestation à l’instar de celle qu’on a vue récemment sur les réseaux sociaux.

Mais, ce qui était intéressant à cet incident, c’était quand le directeur d’alors de l’académie, commissaire divisionnaire de son état, se fût présenté pour ramener les policiers à l’ordre. Une voix sortît de nulle part, les bras grand ouverts, et harangua le commissaire divisionnaire : < Pwomosyon >. Un silence de cimetière surplomba la salle avant que celle-ci explosa de rire… Le directeur fait partie de la même promotion que cet agent IV qui l’interpelle au fonds de la salle. En fait, 30 à 40% des policiers présents dans la salle étaient plus anciens dans l’institution que le directeur de l’académie. Voilà où en sommes nous au niveau de la hiérarchie policière.

Disons tout de suite, de peur de contredire mes écrits antérieurs, que le directeur de l’académie, faisant partie des toutes premières promotions de l’académie, est largement compétent pour le poste; après 20 années de carrière, il est légitimement à sa place. Mais mon point est plutôt celui-ci : comment se fait-il qu’il soit à mille lieux de distance, dans la hiérarchie, d’un autre policier de même promotion, et même plus ancien que lui ? Serait-ce sa compétence qui soit si élevée ou l’incompétence des autres policiers qui soit si déplorable ?

Ceux qui connaissent bien la réalité « atèplat » haïtienne auront bien vite trouvé une réponse à ces questions là. Cependant, il faut reconnaître que les types dans la catégorie du directeur de l’académie sont pour la plupart de jeunes et brillants policiers qui ont subi des concours et brûlé les étapes, quoique à une vitesse accélérée, si bien que leur seul péché, si l’on peut appeler cela un péché, est de s’être échappé du reste de la troupe et d’avoir profité, d’une façon ou d’une autre, du désordre administratif régnant. Toujours est-il, ils sont légitimement à leur place.

La question maintenant est : comment rendre justice au reste de la troupe ? Comment rétablir la dignité à des hommes qui ont sacrifié près d’un quart de siècle de leur existence à une institution, qu’ils ont vu naître et grandir, et dans laquelle, aujourd’hui , ils se sentent comme des étrangers, des  » pitit deyò  » ?.

Récemment, alors que je me retrouvais à la réception de la direction générale de la PNH, où des inspecteurs de police, pour la plupart, assuraient le service, ceux-ci étaient tous regroupés à se plaindre autour d’une note de service. Le problème ne se posait pas avec le contenu de la note mais plutôt avec le signataire. Celui-ci était de grade agent II et faisait partie soit de la 20e ou de la 22e promotion. Comme quoi, ces inspecteurs de police devaient pratiquement obéir aux ordres d’un agent II. Voilà en quoi sont-ils réduits ces policiers de carrière : à assurer le service de réception des directions et exécuter des notes de service signées par des agents II.

A la décharge des autorités policières, disons honnêtement que la situation leur est préoccupante et fait office de certaines réflexions. Toutefois, j’ai l’impression qu’elles ne se rendent pas compte assez de la gravité de la situation et des conséquences qu’elle a sur l’institution. L’une des conséquences, précisément, est qu’il est à constater que, ces jours-ci, presque tous les policiers, plongés dans un sentiment d’insécurité pour leur avenir, sont à l’affût, à tout pris, d’un diplôme universitaire, notamment en sciences juridiques, en vue de répondre à l’un des critères exigés pour la promotion au sein de l’institution policière, le critère de compétence. En ce sens là, justement, je veux apporter une mise en garde aux autorités policières pour ne pas empirer une situation à laquelle elles veulent apporter une solution.

Comment définir la compétence en matière de police? Serait-ce par le nombre de diplômes acquis dans les universités ou bien, d’abord et avant tout, un niveau de savoir-faire acquis au fil des années d’expérience sur le terrain ? La police ne serait-elle pas une discipline scientifique, relativement suffisante à elle-même, dont l’acquisition se fait à travers les écoles de police, les académies de police et les séminaires ? Ces questions sont ainsi exposées pour ceux qui croient que des diplômes universitaires peuvent remplacer vingt années d’expérience de vie policière. Je connais des policiers qui n’arrivent pas à aligner deux phrases dans un rapport de dix lignes, que ce soit en créole ou en français. Mais ces mêmes policiers peuvent être comptés parmi les plus brillants en matière d’opérations policières.

Bien sûr que l’on ne saurait cracher sur la contribution nécessaire à la police, comme institution sociale, d’universitaires bien formés sur le plan juridique et sociologique, mais que cela se fasse dans un cadre bien ordonné et n’aille pas augmenter les frustrations des policiers de carrière. Nous autres haïtiens sommes champions en matière de perversion des bonnes intentions. Toute tentative, pour le moment, d’intégration de cadres extérieurs à l’institution, de même que toutes velléités à accorder la préséance aux policiers détenteurs d’un de ces diplômes, vendus sur le marché comme des pâtés chauds, au détriment du critère d’ancienneté, ne fera que compliquer la situation.

Enfin, armons nous de notre courage pour nous attaquer honnêtement à cette gangrène qu’est ce vaste désordre hiérarchique, qui affaiblit l’institution et qui risque de l’emporter avec elle.

José Jacques